Jean-Michel Jarre – Les Concerts en Chine (1982) – 4/5

Les Concerts en Chine est, officiellement, un album live. Il faut cependant le considérer au même titre que les albums studio, non seulement car il a été partiellement remixé et overdubbé, mais surtout car, de l’aveu de Jean-Michel JARRE, il a été conçu comme tel, dans le but de constituer un témoignage de la tournée de Jean-Michel JARRE, premier musicien occidental à donner des concerts en République Populaire de Chine. Ce qui le rattache au titre d’album live est principalement la réinterprétation de morceaux préexistants.

Les inédits, au nombre de six, occupent un peu moins de la moitié du programme. Ils n’obéissent pas à une logique de suite, une première chez JARRE depuis 1973 et Les Granges Brûlées – quoique ce n’est pas tout à fait vrai concernant "La Dernière Rumba" dont le statut de partie V des Chants Magnétiques (1981) est caduque. "Arpeggiator" et la seconde partie de "Une Nuit à Shanghai" sont de principe semblable, fort peu mélodiques et conçus pour les séquenceurs et l’arpégiateur (normal). Au passage, je m’étonne qu’un titre aussi remarquable que "Une Nuit à Shanghai", planante puis rythmée, à l’ambiance forte, soit si souvent oubliée alors que des "Arpegiator" ou "Souvenir de Chine" courent les compilations. "Orient Express" est un vrai délice, tubesque à souhait. Deux autres morceaux, plus anecdotiques, font figure de transitions: "Les Chants Magnétiques I" est un pied-de-nez, il s’agit en fait d’une plage d’effets sonores de trente secondes, "Harpe Laser" étant quant à lui un thème semi-improvisé sur l’instrument éponyme, une invention brevetée par Bernard SZAJNER.

Comment parler des Concerts en Chine sans évoquer "Jonques de Pêcheurs au Crépuscule"? Réalisée de concert avec l’Orchestre Symphonique du Conservatoire de Pékin sous la direction de Huang Feili, ce morceau ne porte quasiment pas la patte de JARRE et pour cause, il s’agit d’un réarrangement d’un air traditionnel chinois, ce qui n’est pas mentionné dans les notes de l’album. Les interventions électroniques y sont peu nombreuses, la plus remarquable étant ce passage à la troisième minute, repiquant un extrait du passage lent au centre de la partie I des Chants Magnétiques. Seul titre de l’album à avoir été entièrement enregistré en studio, "Souvenir de Chine" est un beau thème lent à la mélodie minimaliste, perclus d’enregistrements sonores enregistrés dans les rues, ainsi qu’on en trouve un peu partout entre les morceaux de l’album. Un témoignage sonore, donc. La démarche n’est donc pas la même que pour le China (1979) de VANGELIS, fantaisie musicale composée en l’honneur de l’histoire, des mythes et des légendes de la Chine.

Les réinterprétations ne sont pas à dédaigner. Passée une "Ouverture" revisitant le premier tiers du premier mouvement des Chants Magnétiques avec un tempo ralenti et une rythmique marquée bien au fond du temps, les revisites sont très fidèles. Les partitions sont scrupuleusement respectées, certaines sonorités diffèrent, d’autres sont reproduites à l’identique (ce qui inclut donc le passage électronique de "Jonques de Pêcheurs au Crépuscule" cité plus haut), ce qui corrobore l’hypothèse d’une reconstitution en studio. Le batteur Roger Rizzitelli, moitié du groupe SPACE ART avec Dominique Perrier (également présent sur scène) apporte cependant une réelle fraîcheur à "L’Ouverture", "Équinoxe IV", "Les Chants Magnétiques" II et IV, ainsi qu’à certains inédits tels que "Orient Express" et "Une Nuit à Shanghai". Par contre, je ne comprends pas la présence d’un titre aussi dérisoire que "La Dernière Rumba", que je trouve décidément ridicule et déplacé.

À noter l’absence d’extraits d’Oxygène (1976). Une prise de son radiophonique publiée comme bootleg en 2016 et disponible à l’écoute sur YouTube indique pourtant que les deux premières parties figuraient au programme, ainsi que la version intégrale de "Jonques de Pêcheurs au Crépuscule" longue de dix-huit minutes – le double album n’en reprend que la seconde moitié et l’extrait des Chants Magnétiques a été rajouté après coup, autrement JARRE et ses comparses se font très discrets tout au long du morceau – et le thème principal d’"Équinoxe VIII". Cette radiodiffusion montre l’impressionnant effort de restitution des morceaux sur scène, avec des sonorités nettement différentes de celles figurant sur le double album, et ça vaut son pesant d’or. Dommage cependant que "les Chants Magnétiques I" soit sabré au tiers.

Les Chinois n’ont pas eu la chance de bénéficier dans l’immédiat de ce double album. Il leur a fallu se contenter d’un simple vinyle de 1983 ainsi que de flexi-discs de 1982, édités par le label chinois d’État et faisant l’impasse sur tous les inédits excepté "Jonques de Pêcheurs au Crépuscule". Difficile de savoir si cet album reprend des prises audio directes ou bien les versions retouchées destinées au double album.

4 ¼ sur 5

†https://www.youtu.be/watch?index=0&list=PLzPUqR0dELqZFEEkndYcEsJjXdhLJVrt8&v=3nVNi1XiIww