Album enregistré par Jean-Michel JARRE entre février et mai 1983, Musique Pour Supermarché a été pressé à un seul exemplaire vendu aux enchères à 69000 francs (décrochant alors le record de la plus chère vente pour un disque de musique) à un particulier amateur de la musique du Lyonnais et ayant écouté "Souvenir de Chine" peu après s’être réveillé d’un coma. L’album a été diffusé par RTL une unique fois le soir du 6 juillet 1983 et la matrice ayant été détruite sous contrôle d’huissier, l’opération ayant été pensée pour dénoncer le consumérisme gagnant le mode de la musique, et les bénéfices de la vente étant destinés à un collectif de créateurs d’art contemporain.

Au-delà de ce contexte particulier, on peut considérer Musique pour Supermarché dans la continuité de l’œuvre de Jean-Michel JARRE, le principal obstacle à son appréciation restant le son des captations radio de l’époque qui dessert quelque peu travail sonore fourni – en revanche, la stéréo n’a pas totalement disparu. Cet album est présenté comme une longue suite en plusieurs mouvements, tout comme les trois albums studio précédents, les Concerts en Chine mis à part. En vérité, les thèmes sont nettement indépendants les uns des autres, seul le concept de l’album semblant justifier leur enchaînement, le plus souvent assuré avec des 'field recordings' captés dans des supermarchés. Ainsi, bien que les différentes pistes soient sans titre, la construction globale semble un brin forcée, artificielle.

La qualité musicale est pourtant là. Ce qui est particulièrement rafraîchissant avec Musique pour Supermarché, c’est que les tics de compositions de la variété française, présents dans la quasi-totalité de l’œuvre de JARRE (tout du moins jusqu’en 1997), sont ici très estompés, même sur les quelques mouvements exploitables en single (s’il en avait été autrement du destin de l’album) que sont les parties 1, 5 et 7. On a ainsi des ambiances tout à fait uniques dans le répertoire du compositeur: la partie 3 à la fois sombre et rythmée, la partie 6 en suspens (et qui est inspiré de "Harpe Laser" issu des Concerts en Chine), la partie 8 limite inquiétante et venant en écho à la 3. Les parties 2 (une petite tournerie) et 4 (un numéro léger dans la lignée de "La Dernière Rumba" – le son de guitare électronique y est d’ailleurs le même) paraissent plus anecdotiques, bien que rien ne soit désagréable. On a également des sonorités fort peu courantes chez JARRE : des tintements étranges, des flûtes fantomatiques, des sons variés triturés à l’extrême. Autant de sonorités nouvelles dont on doit une bonne partie au Fairlight CMI. C’est un album beaucoup moins commercial et, mine de rien, l’histoire particulière de cet album a déteint sur sa musique. La levée de l’impératif commercial n’y est sans doute pas étrangère.

On peut préciser une énième fois que la partie 3 a été recyclée pour former la troisième mouvement du "Cinquième Rendez-Vous" (1986) (avec de nouveaux enchaînements ne rendant vraiment pas justice à cette charmante composition), que la partie 7 a été republiée telle quelle sur l’album Zoolook (1984) sous le titre "Blah Blah Café", que la partie 5 constitue désormais la seconde moitié de "Diva" du même album, avec en sus les prises live de Laurie ANDERSON. Par contre, je suis étonné qu’on ne parle pas davantage de la transition en 'field recording' entre les parties 7 et 8 repêchée pour servir de fond sonore à "Ethnicolor II", ni de l’effet sonore (un battement ascendant d’allure loufoque) figurant à la fin de la partie 1 et dont on trouve une variante dans "Ethnicolor". Il me semble que Marcus MILLER intervient déjà à la basse sur les parties 1 et 7, ce qui est d’autant plus plausible que les projets Musique Pour Supermarché et Zoolook ont commencé en même temps, d’où les doubles emplois entre les deux albums.

L’habitué des enregistrements bootleg ne sera pas dépaysé. Il s’agit dans l’absolu d’un bon album, certes moins développé musicalement que les précédents et les suivants.

3 ½ sur 5