Suivant leur nouveau mode de fonctionnement, les membres de Rush ont mis cinq ans pour donner un vrai successeur à leur brulôt Vapor Trails. Pas spécialement de pause cette fois mais ils n'ont plus envie de se précipiter à l'écriture. Ils ont sorti un EP de reprises des années 60 bluffant, Feedback, en 2004, ce qui a bouché le trou sans les forcer à composer du neuf. Et puis, il ne faut pas oublier que ce groupe joue beaucoup, leurs tournées de concerts sont grandioses, en Amérique et dans les parties d'Europe où ils sont connus – et donc pas en France ni en Belgique. Bref, le discret Snakes & Arrows a fini par paraître en 2007. En quelques mots, il n'est pas mauvais mais un peu bizarre et inégal, et on ne peut que se dire que c'est bien la peine de mettre cinq ans si c'est pour sortir un disque peu inspiré.

La production métal compressée de Vapor Trails avait créé pas mal de contestation, et le groupe même a quelque peu désavoué ce travail, il n'est donc pas étonnant qu'on ait cette fois affaire à un disque plus doux. Il y a toujours des guitares épaisses, mais les tempos sont plus lents, la musique plus sombre, plus axée sur les graves. On remarquera aussi le retour d'une certaine progressivité, qu'ils avaient mise de côté au moins depuis Counterparts. Ceci implique plus de sons électroniques et de guitare acoustique, et aussi des durées de chansons un peu plus variées bien qu'on ne dépasse jamais les sept minutes.

Le caractère sombre est confirmé au niveau des paroles. Rappelons que le deuil de Neil Peart a rendu ses paroles plus moroses, et c'est ici, sur Snakes & Arrows, que cette tendance est la plus prononcée. Elle est d'ailleurs le seul fil conducteur d'un album manquant singulièrement d'un concept. C'était déjà plus ou moins le cas de Vapor Trails, mais on ne retrouve pas ici la même énergie. En somme, on a droit à une série de lamentations inhabituelles de la part de Rush... un cri de détresse, des guerres, du malheur sur la Terre, un agnosticisme dépressif – on peut faire bien mieux que «Faithless» à ce sujet – ou encore l'abondance de mauvaises nouvelles, plus un «We hold on» qui a un petit côté définitif, voilà le menu sinistre de cet album.

Snakes & Arrows est quand même tout juste bon. Un peu comme Test for echo mais bien moins que Vapor Trails, il tient surtout par la qualité du jeu des musiciens. Il est donc assez inégal, «The Larger Bowl», «The way the wind blows» ou «Faithless» ne sont guère dignes d'eux, et on peut bien sûr se poser la question de l'intérêt de publier un album de 62 minutes dans ces conditions. Les meilleurs moments sont sans doute «Far Cry», «Spindrift», l'instrumental «The Main Monkey Business» et le final «We hold on». A noter qu'il est étonnant de trouver ici trois plages instrumentales, une originalité peu utile car les deux autres morceaux sont insignifiants.

Pendant cinq ans, Snakes & Arrows a bénéficié du statut de dernier album, ce qui rend en général les gens plus indulgents, surtout au vu de la pauvreté du rock de ces dernières années. Maintenant que l'impeccable Clockwork Angels est arrivé, il est temps de relativiser les choses... Snakes & Arrows est un album de transition, morose et peu mémorable. Il plaira bien entendu aux fans de Rush, surtout ceux qui goûtent à leur style moderne, mais il est leur seul album avec Hold your fire que je qualifierais de dispensable.