On ne peut pas peaufiner un album pendant quarante années sans pondre un chef d'oeuvre, surtout quand on s'appelle Christian Vander.
Je ne prendrai pas en compte la dislocation de l'oeuvre à travers plusieurs albums, des fragments d'Ëmëhntëtt-Ré pouvant être trouvés sur Üdü-Wüdü et Attahk. En effet, je juge ici LA pièce finale, celle qui avait été envisagée dès le début (l'album avait été prévu pour être enregistré dans les années 70 de même que KA). Force est de constater que jamais la scène jazz-rock n'avait accouché d'une oeuvre aussi totale : tantôt lyrique, tantôt sépulcral; tantôt doux, tantôt sauvage; tantôt céleste, tantôt tellurique, Ëmëhntëtt-Ré est l’aboutissement d'un style.
Dès le premier accord l'ambiance est posée : en dehors de toute mode, Christian Vander signe plus que jamais une composition que l'on croirait issue d'un temps immémorial. Les mouvements s'enchaînent parfaitement et la pièce forme réellement un bloc massif de 52 minutes, non pas un opéra rock mais une véritable symphonie contemporaine.
Certains reprocheront à cet album ce côté "redite", certains mouvement ayant été dispersés sur plusieurs album avant cette réunification finale; j'y vois cependant un aboutissement : avec Ëmëhntëtt-Ré, Christian Vander finit un travail qui aurait dû avoir pu être fait en 76; il fallait cette touche finale pour signer l'aboutissement d'un genre que Magma a créé, développé et transcendé par lui seul.
Le seul inconvénient de cet album serait que, à l'instar d'un Giant Steps, il tue un style, non pas celui du Hard Bop mais celui de la Zeuhl des années 70 tant il porte le genre à son paroxysme. Heureusement, des œuvres comme Félicité Thosz ou Slag Tanz nous montrent bien que la Zeuhl en elle même est bien vivace, qu'elle présente juste de nouvelles contrées à explorer.
