Au début des années 80, je ne jurais que par les Stones. L'essentiel de mon maigre argent de poche passait dans l'achat des chefs-d'oeuvre des Cailloux. « Exile... » figurait en bonne place sur ma liste d'achats mais son prix élevé – il s'agissait d'un double album – m'obligea à patienter quelques mois et à choisir l'option cadeau de Noël (1982) pour enfin posséder l'objet tant convoité.
L'opinion répandue en ce début de décennie, colportée par les critiques de « Best » et « Rock'n'Folk », était qu'il s'agissait à la fois du plus grand disque de rock de tous les temps et du dernier classique des « Stones », opinion d'ailleurs non partagée par Mick Jagger qui reproche à « Exile... » d'être quelque peu surestimé et moins cohérent que certains des albums précédents qui contenaient, selon lui, davantage de grands morceaux.
Dire que les premières écoutes furent laborieuses relève de l'euphémisme. Seuls quelques titres trouvaient grâce à mes oreilles : « Rocks Off », « Tumbling Dice », « Sweet Virginia », « Happy » et « All Down The Line ». Cinq chansons sur dix-huit ! Le plus gênant, c'est que les « derniers Stones », si décriés en leur temps (« Some Girls », « Tatoo You ») me plaisaient davantage...
Durant les mois et les années suivantes, et même s'il s'agissait de l'album du groupe que j'écoutais le moins (à égalité avec leur autre double, « Love You Live »), j'ai cependant réussi à apprivoiser la bête. « Casino Boogie », « Torn And Frayed », « Loving Cup » et l'intégralité de la face quatre finirent par révéler leurs beautés. L'album contient deux superbes ballades, poignantes : « Shine A Light » et la déchirante « Let It Loose ». Seule la chanson consacrée à l'activiste Angela Davis ne m'a jamais transcendé. Quant à « Tumbling Dice », son charme initial s'est estompé, ce titre ayant été exploité à fond sur scène depuis le grand retour du groupe en 1989, d'où une certaine lassitude de ma part...
J'écoute rarement « Exile... », une ou deux fois par an maximum, mais prends un réel plaisir à chaque fois. Si l'on met de côté « Tumbling Dice » et « Happy », l'album contient des morceaux peu connus, rarement joués sur scène, ce qui change des gros tubes incontournables, toujours les mêmes qui finissent par lasser certains auditeurs, surtout lorsqu'ils ont écouté ces titres durant plusieurs décennies (c'est-à-dire durant l'essentiel de leur existence).
En 1983, je n'aurais mis que 3/5 à cet enregistrement. En 2020, je ne peux lui mettre moins de 5.