C'est un authentique chef d'oeuvre que Stevie Wonder sort en 1973. Innervisions est le second d'une série de 4 albums parus entre 1972 et 1976, 4 albums anthologiques, les meilleurs de sa carrière (Talking Book est le premier, puis Innervisions, puis Fulfillingness's First Finale, puis le double Songs In The Key Of Life, qui est LE sommet de Wonder). En 9 titres d'une pureté totale, Stevie propose une musique funky, douce et tribale, parfois politisée, toujours sincère.
Too High est la parfaite introduction funky (basse incroyable, choeurs trippants, ambiance dansante), rythmique élastique, voix parfaite de Stevie Wonder, choeurs soul/funk, une chanson totalement représentative du son Tamla/Motown, le gros son afro-américain des années 70, tandis que Visions est une merveille dans lequel Stevie, aveugle de naissance comme on le sait, prouve par A+B que la vision des yeux n'est rien, strictement rien par rapport à celle de l'esprit. Chanson douce, vraiment enivrante, sur laquelle Stevie chante comme rarement il le fera par la suite et comme rarement il l'avait fait auparavant. Paroles superbes (Do we have to find our wings and fly away/To the visions in our minds ?). Ma préférée du disque.
Puis on passe au gros morceau de l'album, le dantesque Living For The City, dans lequel Stevie Wonder nous narre, avec effets sonores à l'appui, la vie new-yorkaise dans tout ce qu'elle à de plus dangereux, une vraie jungle urbaine, dans laquelle règne la loi du plus fort. On sait que pendant la promotion de l'album, l'artiste emmènera quelques journalistes avec lui pour faire, en bus, le tour de New York, les yeux bandés, afin qu'ils découvrent la Grosse Pomme comme Stevie la vivait quotidiennement. Ce morceau est a écouter les yeux fermés. 7 minutes intenses de funk torride et politisé. Golden Lady achève la première face sur une note apaisante et douce. On tient ici une vraie chanson d'amour, d'une beauté totale (refrain magnifique, Golden lady, gooolden lady, I'd like to go there). 5 minutes de bonheur, mais à ce niveau de l'album, c'est tout simplement la face entière qui est synonyme de bonheur. Une chanson emblématique de Stevie Wonder.
La seconde face s'ouvrait sur une chanson qui sera par la suite reprise (et massacrée) par les Red Hot Chili Peppers, Higher Ground, vraie pièce maîtresse du son funky Motown, un titre diaboliquement efficace, du genre à vous faire remuer le popotin, tout en proposant des paroles assez politisées et engagées (Stevie, on le sait, a toujours été engagé), comme Powers keep on lyin'/While your people keep on dyin'. Jesus Children Of America est la chanson suivante. Chanson d'amour fraternelle, douce comme une brise, qui fait vraiment beaucoup de bien à celui ou à celle qui l'écoutera, c'est une des plus belles de Innervisions, et musicalement, elle est franchement de toute beauté. Comment argumenter dessus ?
Puis on passe au sublime All In Love Is Fair, qui se paie le luxe et le mérite de faire passer la chanson précédente pour du hard-rock, tellement elle est apaisante, proche en cela du Visions de la face précédente. En même pas 4 minutes, Stevie nous explique patiemment, et on adore l'écouter nous le prouver, que tout est superbe, en amour. All In Love Is Fair le montre en chanteur de charme absolument remarquable. Don't You Worry 'Bout A Thing est une petite merveille funky et même totalement africaine, une chanson sur laquelle Stevie joue de tous les instruments (aussi le cas de Too High, Visions, Living For The City et He's Misstra Know-It-All). Une vraie prouesse qui fait sourire, qui redonne du baume au coeur après la mélancolie du morceau précédent. Et enfin, l'album se terminait sur He's Misstra Know-It-All, chanson très engagée politiquement, dans laquelle, sur fond de gospel soul et funky, Stevie fait une critique sévère du gouvernement de Richard Nixon, le monsieur Je-sais-tout du titre. Manière très particulière de finir un album, et assez risquée aussi, mais le pari est magistralement gagné par Stevie, avec cette chanson parfaite.
Voilà, 9 chansons absolument grandioses, qui forment l'intégralité de l'album. Un album mythique, renversant, souvent triste, mais n'oubliant cependant pas sa fonction première de disque de soul/funk, même si l'ambiance est plus à l'engagement et à la mélancolie qu'au remuage de popotins.
Innervisions est un sommet qui sera juste surpassé par, en 1976, le double album anthologique Songs In The Key Of Life.
Mais beaucoup de fans de Stevie considèrent Innervisions comme son sommet absolu, et comment leur en vouloir ?