Veste grise impeccable, cravate finement posée sur une chemise blanche, chapeau noir couvrant mystérieusement le regard. Le choix vestimentaire ainsi que la pose pour cette photo de pochette se veut mûre, propre et sans fioritures...même si on a toujours volontiers pardonné les accoutrements et autres frasques de notre cher Reggie se prêtant, il est vrai, volontiers au jeu de l'autodérision. Passé ce point purement esthétique, voyons voir désormais si la structure de ce "Breaking hearts" est tout aussi solide.
Joyeux, pimpant, spontané avec une petite nuance bien maîtrisée de rêverie... c'est avec ces adjectifs formant cette alchimie que je qualifierai ce disque plutôt boudé au sein de l'œuvre d'Elton John. Le souffle chaud de certaines pistes est bien contrebalancé par quelques pauses offrant des bluettes en toute vérité réussies. Le puissant et quasi solennel "Too low for zero" était d'un blanc immaculé, son poursuivant est ici vêtu d'une étoffe or et bleu nuit comme l'enveloppe d'une belle soirée estivale.
À défaut de thématique bien précise, l'essence dégagée par "Breaking hearts" est le partage et la convivialité. Rarement l'expression "Thanks god it's friday" aura aussi bien illustré cette production pop-rock de qualité et ambianceuse à souhaits.
Attention, point de prétention et de morgue toute So British voire encore moins de beaufitude digne d'une kermesse de village est à trouver dans cette composition. Elton et son line-up classique (Nigel Olsson, Dee Murray et Davey Jonhstone) semblent s'amuser en surfant sans encombres entre le hard FM de "Restless" (quelle entrée en matière !) et les accents rockabilly de "Slow down Georgie" et du très réussi "Who wears these shoes ?". Pour un peu, nous n'hésiterions pas à enfiler un t-shirt noir moulant en se coiffant avec une épaisse couche de pento pour tenter quelques acrobaties avec sa cavalière. Je parle bien de danse, faut-il le préciser.
Sur la même lancée, "Li'l'frigerator" - et ses curieux mais croustillants petits ponts cristallins - déménage de manière efficace pour employer un jargon familier. "Passengers" est quant à lui une sorte de Soldat Louis avant l'heure avec son atmosphère de galion voguant en haute mer...pari osé mais passé avec succès !
Au chapitre des cœurs brisés, il n'y a ensuite rien à jeter du titre éponyme jusqu'à "Burning buildings" en passant par la jolie ballade "In neon". Piano parfaitement ajusté, jeu de guitare-basses classique et classieux, chœurs millimétrés intervenant au moment "T" pour accompagner la voix de tête plus rocailleuse du grand maître au fil des années...le génie musical n'est sans doute pas atteint (cela n'est guère l'intention de ce disque) mais le sans faute tient la corde.
La ritournelle "Sad songs (say so much)", seul véritable hit de cette sacrée série conclut en feu d'artifice cette production de mille feux maintenant Elton John, marié et visiblement heureux, en haut du pavé au beau milieu d'une décennie en forme de montagnes russes.
Pour conclure, je dirais que nous nous situons certes en dessous de "Too low to zero" qualitativement parlant, mais avec une texture moins ambitieuse qui a mieux vieillie.
Note : 4/5 largement mérité