Avec la femme de mes pensées, nous avons, entre autres passions musicales communes, l'attrait pour un folk occidental riche : celtique évidemment, américain mais aussi français avec MALICORNE et Gabriel YACOUB en solo... On parle de folk tendance "fête" ou "pub", celui où l'on chante et on danse, mais également celui qui nous fait asseoir et entendre une histoire, celui pendant lequel on se recueille. Ce qui est très bien avec la talentueuse Nikki MATHESON, c'est qu'elle est un peu tout cela à la fois.

Avec son nom et sa personnalité de brune, on pourrait la confondre avec Karen Matheson, la chanteuse du groupe écossais CAPERCAILLIE, or il s'agit bien de la chanteuse canadienne qui, contrairement a son homonyme, joue de plusieurs instruments et doit moins en priorité à son timbre de voix qu'à son talent d'accompagnatrice. Sa carrière est vraiment lancée en France lorsqu'elle participe à la dernière tournée de MALICORNE, en 1986-87, avant de s'installer durablement auprès de Gabriel YACOUB et pour ses réalisations en solo pendant plusieurs années. Sans oublier moult collaborations avec des artistes folk à succès, la moindre n'étant certainement pas le rôle de Guenièvre pour le premier opéra-rock Excalibur d'Alan SIMON (1998).

Nikki MATHESON fait appel à YACOUB et à ses musiciens pour l'accompagnement et l'enregistrement d'un premier album solo publié de manière bien tardive, en 2011, par rapport au contexte : Jean-Pierre Arnoux, le batteur, est en effet décédé en 2002, et c'est à lui que revient la dédicace la plus émouvante de Invisible Angel. La présence de Patrice Clémentin (ingénieux du son) et de Nicolas-Yvan Mingot aux côtés de Jean-Pierre Arnoux, de Yannick Hardouin et de Gabriel YACOUB, entre nombreux autres intervenants sur cet album, permet de fixer une période d'élaboration autour de la seconde moitié des années 90. La pochette est réalisée par YACOUB fille, celle de Nikki, à savoir Coline, qui suit une carrière actuellement dans l'image plutôt que le son.

En tout cas, Invisible Angel représente à merveille l'esprit de ce que Nikki MATHESON interprétait auprès de YACOUB, de la folk contemporaine, fidèle à la tradition avec un souci d'adaptation, beaucoup d'arrangements et, bien sûr, de poésie, d'élégance. Et cet album se devait de voir le jour, par sa qualité exceptionnelle dont on se rend compte un peu mieux à chaque écoute. C'est bien simple, il n'y a pas de temps mort, chaque chanson est d'une grande force, avec un niveau de qualité placé très haut !

Sur deux chansons en français, MATHESON parfume de ses origines canadiennes (Toronto) une diction qui ne change en rien la beauté de l'interprétation. "Tout Leur Pensement", en ancien français ("pensement" = mot d'autrefois pour désir, projet, envie...), est un des nombreux poèmes écrits par Charles Ier d'Orléans (1394-1465), lorsqu'il était prisonnier outre-Manche. Les flûtes à bec, jouées par Tim Cummings, également sonneur de cornemuse du Northumbrian ailleurs sur le disque, sont une valeur ajoutée à l'émotion distillée par le chant de MATHESON. Esprit MALICORNE, quand tu nous tiens !

Que dire alors de "Quand Viendra-t-elle ?", complainte traditionnelle de pauvres gens qui n'attendent pas quelqu'un mais quelque chose, une vie meilleure ? La voix est fragile, comme la mélodie, comme le piano, les invectives ("Ah ! Je l'attends, je l'attends, l'attendrai-je encore longtemps ?") et le refrain enfantin qui emprunte au Gavroche de Victor Hugo... On connaissait Nikki MATHESON chanteuse, pianiste ; elle joue ici des clarinettes. Pour un talent !...

Les ballades folk avec davantage de guitares se succèdent, des mélodies superbes et semblant toujours taillées pour la voix claire et enivrante de la chanteuse, que ce soit "Lover of Salt" ou l'introductif "Patchwork" et son texte qui parle de la mémoire. Elles sont réalisées avec de talentueux musiciens, parmi lesquels Colin McAffrey, multi-instrumentiste originaire de l'état du Vermont aux Etats-Unis. Difficile de résister à "It's Still Raining in Paris", dont MATHESON a perdu la maquette d'origine et qui possède une ambiance bien particulière, à en donner des frissons.

Le duo avec Richard Shindell sur "To Lay Me Down" est magnifique, on peut tout autant adhérer à la ballade country "Invisible Angel" et son solo de pedal-steel par Claude Samard, au caressant "Do I Care" dans une veine plus jazz... "Just One in a Small Few" et son bourdon de cornemuse trouvent un écho sur le final glorieux "High on a Mountain", partagé entre instrumental western et air gaélique chanté du haut des montagnes d'Idaho, MATHESON allant chercher les cimes aiguës. "Your Love for My Tears" et "Whisper I Love You" sont des hommages brillants à Nanette WORKMAN et à CLANNAD, what else?

Difficile de dégager un morceau dans un album où il y en a treize et où tous semblent l'être ! Pourrait-il avoir une suite ? Ah ! Je l'attends, je l'attends...