Dans mes pérégrinations krautrock, j'ai pu constater une chose évidente : ce genre est typique de l'Allemagne de l'Ouest, autrefois appelée RFA. En effet, les grands noms du krautrock viennent tantôt de Düsseldorf, tantôt de Munich, tantôt de Hambourg... et l'on peut citer bien évidemment Berlin, mais uniquement sa partie ouest, celle enclavée dans la RDA entre 1949 et 1990. Après tout, c'est normal, le krautrock étant à l'origine un mouvement musical contestataire gauchiste dont l'existence ne se justifiait que contre une société ouest-allemande honteuse et américanisée à la fois (un jour on vous parlera de FLOH de COLOGNE). Et donc, trouver au moins du rock expérimental du côté rouge de l'ancien Reich, ce n'est pas facile.
Dans les années 2010, les prospecteurs du krautrock dénichent sur le web une pépite rare. Que dis-je, c'est la pépite « oeuf d'autruche » ! les bandes sonores d'un obscur projet krautrock des années 70, conçu en Allemagne de l'Est. Rapidement, un nom est mis dessus : KOSMISCHE LÄUFER. Il s'agit de la musique composée en secret par Martin R. Zeichnete, un employé de la DEFA (l'organisme chargé du cinéma en RDA), qui a découvert que la musique rythmique répétitive, ou motorik pour faire court, a eu un effet positif sur les sportifs. Et donc, le voici à composer du krautrock afin de former les meilleurs athlètes en vue des Jeux Olympiques. Ainsi, c'est une véritable page d'histoire remise au goût du jour à une époque où le krautrock est regardé avec déférence.

Bon, maintenant qu'on a fait les présentations : qui y a cru ?

Et non, KOSMISCHE LÄUFER n'a jamais existé. Ou plutôt, son histoire est fausse. En fait, il s'agit d'un projet plus ou moins confidentiel créé par un Écossais du nom de Drew McFayden en 2013. Le bonhomme s'est donc décidé à pondre du krautrock moderne et a bricolé une histoire fantaisiste pour se vendre. Pas forcément honnête dans la forme, mais cela fut rapidement pardonné par les fans de krautrock, surtout ceux qui ont prêté une oreille aux disques de l'artiste – car oui, il serait temps de parler de la musique.

Kosmische Läufer est un one-man-band krautrock des années 2010. Et à ce titre, ses influences sont nombreuses et variées. Pour synthétiser, on peut dire qu'il s'agit du fruit des amours incestueuses entre KRAFTWERK, NEU!, CLUSTER et HARMONIA ; soit un krautrock fortement électronique, appliquant le fameux motorik dans une perspective relativement abstraite. Un cocktail détonant, mais qui peut aussi dangereusement flirter avec du krautrock mille fois rabâché, surtout à une époque où la nostalgie pousse certain(e)s à réinventer la roue ou à redécouvrir l'eau chaude. Heureusement, si McFayden – pardon, Zeichnete – ne change pas la face du monde dès son premier album, Volume One (2013), la manière dont il parvient à se placer dans la continuité de ses illustres aînés d'outre-Rhin engendre une musique crédible et surtout bonne à écouter. Et par moments, les croisements débouchent sur des enchaînements intéressants. Prenez "Die lange Gerade" : ça commence comme du CLUSTER période Zuckerzeit (1974) pour très vite passer au Neu! classique. Et comme pour les anciennes gloires kraut, le tout s'écoute à vitesse grand V, sans qu'on voie le temps passer.

KOSMISCHE LÄUFER est donc une sacrée bonne surprise largement capable de plaire aux fans de krautrock. Bien évidemment, il ne révolutionne rien dans le genre, mais il reste plaisant de constater le maintient de la flamme sacrée dans les années 2010, quand bien même le travail de réhabilitation du krautrock bat son plein. Rien que cet argument suffit à écouter avec plaisir Volume One, d'autant que la suite sera meilleure.

Note réelle : 3,5/5