Stockholm est une parenthèse dans la carrière de Jean-Louis AUBERT. En tête des ventes dès sa sortie, chose toute logique, mais aussi rapidement oublié. Trop ! Une période de succès moins fort, mais avec ce qui reste, d'un avis personnel, "l'album-laboratoire" de AUBERT. Ressenti dès la première écoute il y a longtemps, et toujours bien présent, en plus d'une sensation de qualité globale, un rien exigeante certes.

Les premiers albums solos de l'ex-TELEPHONE comportaient des arrangements fouillés et H était déjà un album de "voyage" car enregistré en différents endroits et suivant l'envi. Le numéro quatre de sa discographie propre réunit tout cela à sa façon. Les années 90 battent leur plein en termes de nouveauté musicale et de développement électronique, des groupes comme MASSIVE ATTACK et RADIOHEAD s'affirment largement sur la scène internationale, tout comme en Suède, ACE OF BASE pour la pop grand public et, sur un versant plus alternatif, The CARDIGANS.

Jean-Louis AUBERT, naviguant entre Paris et Stockholm, souhaite se mettre dans le rang, à sa façon. On trouvait déjà quelques programmations sur Blanc Bleu Vert et H, mais ici, le son est très particulier : ni alternatif, ni trip-hop avec résolution, mais un peu de tout cela. L'entrée en matière est un morceau rude, celui qui emprunte son nom à la capitale suédoise, à la fois poétique dans son texte (le style d'AUBERT s'affine en la matière) et perclus de riffs rageurs à la guitare, de batterie Kolinka compressée. Ce n'est pas de l'indus à la NINE INCH NAILS (dans le genre plus underground encore !), mais cela y fait penser.

On peut comprendre la réticence du public habituel, tout comme regretter le fait que cela a peut-être déteint sur l'appréciation globale ! Car Stockholm est une réunion de plusieurs styles et il n'y a pas de quoi être dépaysé, par exemple, avec "Le jour se lève encore". Un tube pop-rock en force et portant la marque la plus évidente d'AUBERT, en compagnie du fidèle Richard Kolinka et toutes guitares dehors, aux paroles du même esprit que "Temps à nouveau". Chose amusante car, tout comme "Vivant poème", c'est une chanson de BARBARA ! Elle et AUBERT (producteur de son dernier disque) ont travaillé ensemble en cette période et cela reste beau à voir quand on sait que Stockholm, sorti en 1997, précède de quelques mois le décès de la grande dame.

"Vivant poème", "Océan" sont de superbes titres, remarquablement écrits et ponctués d'effets divers : cordes, nappes de synthétiseurs et boîtes à rythmes qui se mêlent aux guitares blues. Les boîtes à rythmes sont très employées sur ce disque, notamment la Roland TR-808, reconnaissable entre mille sur "Tombé de haut", où le chant très rythmique de AUBERT se rapproche du hip-hop. Rien de heurtant toutefois, c'est bien fait, comme la mordante "Juste pour aujourd'hui", basse en avant et esprit oriental. D'ailleurs, pour le virage world, "Abandonne-toi" et ses choeurs envoûtants sont relevés par la présence de Tony Allen, ex-compagnon de Fela KUTI qui décède lui aussi en 97.

Ce n'est que du bonheur, en sus d'une réalisation favorisant la recherche, d'où le terme "laboratoire" : bidouillages par-ci, mélodica par-là, rock alternatif entre les deux, "Le milieu" carillonnant, l'instrumental "Baltic". Quel final que celui-ci par AUBERT impressionniste, solo de guitare long et aérien sur fond de percussions et synthés sifflants... On retrouve ses thématiques chères avec le californien "Je crois en tout, je n'croix en rien" aux choeurs échevelés, "La suite" et son ton de rupture. C'est l'un des titres folk de l'ensemble avec "La p'tite semaine" et sa critique d'un système qui étouffe, doublée d'un propos rassurant. Le piano et l'harmonica y suivent le chanteur qui nous réserve une perle encore avec "Fais ton voyage", hymne à la liberté et l'évasion. Ah, ce clavier en fond, cette sensation de grands espaces... Un disque courageux et excellent.