Nous sommes en 1963 et Brenda LEE, tout juste âgée de 19 ans enregistre son 9ème disque studio pour Decca. Le moins qu’on puisse dire, c’est que la firme n’a jamais rien compris quant au pouvoir attractif des pochettes. Un comble pour une firme qui a tant fait en termes de marketing, d’études de marchés et de promotions en tout genre ! C’est bien simple, c’est à peine si on distingue la chanteuse, heureusement qu’elle porte une élégante robe blanche au lieu d’une noire.

Second disque paru dans l’année, "Let Me Sing" provient de cinq sessions (20 février, 10 avril, 28 et 29 mai 1963) enregistrées à Nashville au studio Columbia, l’ancien Bradley Film & Recording Studio. Comme il manque un titre pour s’accommoder du traditionnel six pistes par faces, Decca pioche dans ses fonds de tiroirs et nous refourgue "Break It To Me Gently" issu d’une séance du 30 aout 61. Chez Decca, on ignore toujours ce que sont une ligne éditoriale et une ligne directrice.

Un an avant, la chanteuse avait fracassé le Star Club d’Hambourg, conquis la foule parisienne à l’Olympia et fait un passage remarqué en Angleterre. Tout le monde avait capté les possibilités vocales de cette petite jeune femme, tout le monde sauf le staff Decca. Pour la firme, il s’agit toujours de remplir ses caisses, perspective qui un peu de plomb dans l’aile, d’autant plus que Brenda vient de se marier le 24 avril. Decca sait très bien que la belle vie et les rentrées d’argent risquent de s’arrêter du jour au lendemain. Professionnelle jusqu’au bout des ongles et personnage affable, Brenda Lee enregistre pour Decca jusqu’à l'orée des années 70, Decca se frottant les mains et les poches avec plus d’une douzaine de disques vendus.

En 1963, la chanteuse est encore en pleine forme. Si Decca lui concocte toujours un répertoire sans la moindre prise de risque, Brenda signe avec "Losing You"⸋ un titre qui atteint la 6ème place dans les classements. Et Cocorico, il s’agit là d’une adaptation du "Connais-tu ?" du tandem Pierre Havet/Jean Renard chanté par Tino Rossi. Le titre repris dans la foulée par Doris DAY est encore à l’ordre du jour, l’excellente violoniste Alison Krauss s’attaquait à la chanson en 2017. Hormis "Break It To Me Gently" paru en single en janvier 62, pas un seul autre titre ne sera publié en single.

C’est toujours vers un répertoire voguant entre Jazz Vocal et chanson populaire que Decca place sa chanteuse. L’album s’ouvre avec "Night And Day", un vieux standard de Cole Porter chanté par Fred Astaire durant les thirties. Malgré des choeurs superflus, Brenda en délivre une excellente version. Diana KRALL et Robin McKelle, figures de proue du Jazz Vocal contemporain, en prennent pour leur grade. Bonne reprise de "The End Of The World"⃰, énorme succès de la chanteuse Country Skeeter Davis. Chez nous, Frank Alamo, héritier d’une célèbre marque de téléviseurs, adapte la chanson avec "Fait pour durer", une guimauve bien dure à mastiquer. Autre ballade avec "Our Day Will Come", un ancien Number One éphémère de Ruby & The Romantics repris plus tard par Amy WINEHOUSE.
Cantonnée dans un registre des plus soft, elle reprend "You’re Reason I’m Living", petit succès de Bobby Darin ancien chanteur du label parti chez Atlantic. Peut-être la meilleure version avec celle d’Esther Phillips. On continue sur la voie de la ballade sentimentale avec "Break It To Me Gently"⃰ ⃰, la fameuse chanson enregistrée en 61 qui se classa tout de même à la 4ème place du Billboard. Dean MARTIN et Ruth BROWN reprennent le morceau, tandis que Johnny HALLYDAY chante "Quitte-moi doucement" via une adaptation du parolier Ralph Bernet. Cette face A se termine sur "Where Are You" ⃰ ⃰ ⃰ , une vieille ballade Jazzy des années trente. Si Frank SINATRA a contribué à relancer la chanson, cette dernière connaît un regain de notoriété via les versions instrumentales de Kenny DORHAM, Ben Webster, Dexter Gordon ou Ruby Braff. Brenda délivre ici une interprétation pleine de souplesse et de tendresse. Bob DYLAN reprend le titre dans" Shadows In The Night", album curieux dans lequel le barde chante SINATRA.

Si vous avez parié que la face B allait débuter sur des auspices plus vigoureux, vous avez perdu de l’argent. Si "When Your Lover Has Gone" figurait au générique du film "Crazy Blonde" avec James Cagney et Joan Blondell, le titre se voit repris une multitude de fois, de Ray CHARLES à Rick NELSON en passant par Doris Day ou Ella Fitzgerald et d’innombrables formations de Jazz. Ici, on retient principalement le bref passage de sax' de Boots Randolph pollué par les chœurs de la troupe d’Anita Kerr. On reste sur le même genre de tempo avec "I Wanna Be Around", une bonne guimauve d’où ressort le piano de Bill Purcell. Pour l’anecdote, ce morceau demeure connu pour avoir fait naître une belle histoire : Sadie Vimmerstedt, grande fan de Johnny Mercer, écrivit les paroles qu’elle envoya à son idole. Mercer colla une mélodie au texte, se contentant d'ajouter quelques lignes. La chanson est enregistrée cinq ans plus tard par le crooner Tony Bennett et atteint une bonne 14ème place dans les classements américains. Mercer décida alors de partager ses gains avec l’auteure du texte. Une belle histoire, assez rare pour être signalée. Chez nous, Sacha Distel chante "J’aimerais être là", une adaptation insipide de Maurice Tezé. Si vous aimez les caramels mous, vous serez servi avec "Out In The Cold Again", une ballade remontant aux galères reprise par Dean MARTIN, Sam COOKE. Ici Brenda LEE vogue entre Jazz Vocal et ballade sentimentale tristement apathique. Autre titre pioché à Hollywood, "At Last" figurait dans la B.O de "Orchestra Wives" (Ce que femme veut) un nanar avec Ann Rutherford et Glenn Miller. Etta JAMES allait populariser la ballade qui sera bientôt reprise près de 300 fois. Brenda en offre une interprétation aussi douce que correcte. C’est bien sûr avec une énième ballade que s’achève le disque avec "There Goes My Heart", encore un titre issu des années trente. Decca avait déjà tenté l’expérience via un single des Four Aces sans guère de réussite. Si le chant de Brenda et l’orchestration s’avèrent moins sirupeux que ceux de nombreuses versions antérieures, cela ne suffit pas pour accrocher l’oreille.

Avec cet opus, Brenda délivre un disque en demi-teinte. Si la face A laisse place à des titres judicieux et bien tournés, l’autre face demeure beaucoup trop molle et manque cruellement d’envergure. Si les six dernières ballades convenaient peut-être à un couple d’amoureux installé au coin d’un feu il y a un demi-siècle de cela, avouons qu’elles sont aujourd’hui beaucoup trop douillettes et timides pour retenir l’attention, malgré la qualité du timbre de Brenda LEE.

Note réelle 2,5.

⸋ Titre homonyme à ceux de Dusty Springfield et Randy Newman.
⃰ Titre homonyme à ceux de Jimmie Davis, The Aphrodite’s Child et Eric Carmen.
⃰ ⃰ Titre homonyme à celui de Cissy Houston.
⃰ ⃰ ⃰ Titre homonyme à ceux de Burt Bacharach et Imaani.