Deux années après le décevant Vision, c’est un Alpha BLONDY requinqué qui nous revient avec Mystic Power.
Dès le premier titre, "Hope", on a le sentiment que toutes les maladresses qui alourdissaient son prédécesseur sont corrigées. Le son est bien plus nerveux et dynamique, les chœurs plus incisifs, l’orchestration plus efficace. L’utilisation de voix transformées par Vocoder ou Autotune, qui tombait à plat sur Vision, est ici bien mieux maitrisée et surtout bien mieux intégrée au style de l’Ivoirien.
La participation du tueur de Dancehall, le Jamaïcain Beenie Man, bien qu’un peu sous-exploitée, est également totalement en phase avec le style résolument moderne de cette entame de disque. Impressions validées par le pugnace "My American Dream" qui confirme une direction artistique recherchant l’union entre un Reggae traditionnel porté par un orgue et une basse chaloupées avec des sonorités électroniques bien plus modernes. Un peu comme si Alpha BLONDY enfin réussissait le même pari que Claude NOUGARO avec son Nougayork : fusionner son style habituel avec des sons bien plus actuels.

Au-delà de cette mutation enfin accomplie, on ne peut que constater un changement d’état d’esprit. Là où Alpha BLONDY faisait preuve d’un peu d’arrogance et de négativité dans ses derniers albums ("Mister Grand Gueule", "Ces soi-disant amis", "Trop bon"), il réapparaît frais et virginal, empli d’humilité et de contrition. Terminé les provocations gratuites et ridicules, oublié les jugements hâtifs, le chanteur a retrouvé l’humanité et l’ouverture d’esprit qui étaient ses crédos à ses débuts.
Cela est particulièrement sensible sur la triplette finale "Reconciliation"/"Pardon"/"Exil (Malavoi)" qui se répand tout en douceur et dans laquelle faisant son mea-culpa il appelle à la réconciliation entre les différents clans ivoiriens. La participation de son disciple/concurrent, Tikken Jah FAKOLY, est un message fort au regard des différends qui ont opposé ces deux grandes figures du Reggae africain.
Les paroles sont fortes, notamment au regard de la suffisance et de l’égo dont Alpha BLONDY a parfois fait preuve : « Je me suis réveillé aux pieds de ma vanité […] à tous ceux que j’ai offensés, je vous demande pardon ».
Nous sommes alors deux années après la fin de la crise ivoirienne et les plaies sont encore fraiches. Alpha BLONDY, qui n’a pas toujours fait preuve d’impartialité dans ce conflit en soutenant ouvertement Lauret BAGBO, prend du recul et appelle à l’acceptation de la solution qui clôt cette période trouble de la Côte d’Ivoire. Ce sujet qui semble le hanter fait l’objet d’au moins quatre titres ("Ivoirité Danger", "Pardon", "La Bataille d’Abidjan" et "Réconciliation"). Et même si le propos est parfois surprenant (« 100 000 morts pour des élections, politiciens de Côte d’Ivoire vous avez fait fort » dans "Ivoirité Danger", alors que la Commission d'enquête nationale estime le nombre de morts à 3 248), le discours est sans faille et cela fait plaisir de retrouver celui qui a été Ambassadeur de la Paix pour l’ONU, revenir à ses valeurs originelles. Le livret du CD comprend d'ailleurs une liste inhabituelle de remerciements qui vont dans toutes les directions (La France, ses fans, le maire de Jérusalem, un organisateur de festival etc.).

Les autres sujets de prédilection d’Alpha BLONDY sont également présents dans Mystic Power. A commencer par son obsession pour la religion et la spiritualité, qui s’exprime dans "Soutra", ainsi que dans le très bon "Crime spirituel". Un titre où le sage pourfend les utilisations, qu’il juge dévoyées, de la religion, et exprime sa douleur de voir des crimes commis au nom de la foi.
Comme il l’a déjà fait, il aborde également la politique et la place de l’Afrique dans le concert des nations avec les tout aussi excellents "France à fric" et "La bataille d’Abidjan" qui s’ouvre sur les notes du film Le bon, le brute et le truand de Sergio LEONE. Mister BLONDY s’y montre impérial : la musique dynamique combine à merveille modernité et traditions Reggae. Et les textes sont des petits bijoux de finesse. Elle est bien loin l’époque où il bâclait ses textes en abusant de facilités et de lieux communs.
L’album comprend deux reprises. L’une assez convenue, mais terriblement bien troussée : "J'ai tué le Commissaire", version en français du "I Shot The Sheriff" de Bob MARLEY (Burnin’ - 1973). Comme il l’avait déjà fait avec "La guerre", une transposition du célèbre "War" de Bob MARLEY sur "Dieu" 1994. La version assez fidèle bénéficie d’un chant très inspiré d’Alpha BLONDY.
Plus surprenante est la reprise du "Métèque" de Georges MOUSTAQUI (Le métèque - 1969). Comme il l’avait fait avec des titres de PINK FLOYD, Hugues AUFFRAYS ou bien FREE, Alpha BLONDY prend plaisir à revisiter en version Reggae des titres qui ne sont initialement pas du tout issus de cet univers, pour un résultat toujours aussi délicieux, en grande partie parce qu’il ne se permet pas seulement de jouer avec la musique, mais également avec les textes. Ainsi, nous avons droit à « avec ma gueule de neg’ métèque, de juif errant, de rasta grec, et mes dreadlocks aux quatre vents », et cela fonctionne. C’est simple, avec Mystic Power, Alpha marche sur l’eau, là où Vision loupait quasi systématiquement sa cible : ici, tout lui réussit. Et cela fait bien plaisir de le revoir en si grande forme.