Dixième disque pour l’ancienne Little Miss Dynamite. Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis ses premiers pas en studio durant l’été 56. Brenda a rapidement changé d’orientation musicale après des débuts détonants dans le monde du Rock' n' Roll.
"By Request" sort dans les bacs des disquaires en 1964. Pour Decca, l’eau a aussi coulé sous les ponts, en fait la firme vient de se prendre une véritable douche. Suite à la rencontre de sa chanteuse avec Ronnie Shacklett en novembre 62 lors d’un concert de Bo Diddley, personne n’imaginait chez Decca que l’une de leurs plus grandes vedettes convolerait en justes noces six mois plus tard. Une donne qui allait tout changer, d’autant que Ronnie veillera à la protection financière de sa nouvelle épouse, surveillant étroitement les versements et les engagements de Decca avec la jeune chanteuse.

Ce disque provient de cinq sessions enregistrées dans les mêmes studios à Nashville. Si les deux premières remontent au 20 février et 9 avril 1963, il faut attendre fin septembre pour que Decca revoie Brenda en studio. C’est qu’entre-temps, Brenda Lee est devenue Madame Shacklett suite à son mariage le 24 avril.
Les trois dernières sessions ont lieu les 23, 24 septembre et le 25 octobre, et cette fois le mari de Brenda veille sur la rapacité de la firme. Cette protection et cet épanouissement se retranscrivent sur la pochette affichant un visage souriant et rayonnant.
Le titre de l’album n’est pas aussi anodin qu’il paraîtrait. Si la jeune chanteuse s’est toujours pliée aux exigences parfois étonnantes de sa maison de disques, pour la première fois elle choisit de reprendre une poignée de titres, suite à la suggestion de ses proches ou d’admirateurs et Decca n’a d’autre choix que de se plier à son désir. Pour Brenda, ces sessions sont pratiquement du cousu main : Owen Bradley est toujours aux commandes et les musiciens sont quasiment les mêmes, une troupe d’accompagnateurs avec lesquels elle se sent bien et qui apprécient tous sa gentillesse et sa simplicité.

En guise d’amuse-bouche, Brenda Lee reprend "More", adaptation américaine de "Ti guarderò nel cuore" figurant dans la bande son du film "Mondo Cane". Une flopée d’artistes de tout poil se jette sur cette ballade, de SINATRA à Aretha FRANKLIN en passant par Doris Day et Tom JONES. C’est simple, même Bécaud en livre une version chantée en anglais. Certains y trouvent une similitude avec le générique de la série télé "La croisière s’amuse", d’où ce sentiment de rabâchage. On reste sur un rythme d’escargot avec "The Day Of Wine And Roses", une compo d’Henry MANCINI qu’on a connu plus gai et énergique. Si ce titre fait la joie d’innombrables ensembles instrumentaux et de crooners vieillissants, c'est aussi le cas de nombreuses chanteuses de Jazz. Si vous êtes adeptes des ballades nostalgiques un brin mélo, cette version devrait recevoir votre approbation. On conseille, parmi un wagon de 500 reprises les versions instrumentales de Jimmy McGriff ou Roy Ayers.
Le ton prend une orientation plus légère avec "Danke Schoen", le plus grand succès du chef d’orchestre teuton Bert Kaempfert. Si MARTHA & The VANDELLAS s’étaient attaquées au morceau, la version de Brenda LEE moins bouffie et plus humoristique nous paraît plus sympathique. Rien a voir avec celles de Patty Duke (ridicule) ou Johnny Tillotson (triste à mourir). Chez nous, Colette Deréal en chante une version plus que convenable. Retour à la ballade avec "Tammy", titre chanté par Debbie Reynolds dans la comédie romantique "Tammy et le célibataire" avec l’inamovible Walter Brennan. Si le tempo mou du genou ne risque pas de nous donner un lumbago, il est tout de même plus agréable d’entendre Brenda que Sam COOKE ou Pat BOONE. Même impression avec "Why Don’t You Believe Me", une ballade qui permettait douze ans plus tôt à Joni James de grimper sur la plus haute marche des charts US. Si la version originale demeure aujourd’hui difficilement buvable, Brenda parvient à la rendre agréable par le biais d’une orchestration qui efface toute la surenchère dramatique. Si la version demeure bien supérieure à celles du gentil Pat BOONE (on va finir par croire que je lui en veux) ou de Patti Page, elle se révèle moins novatrice que l’interprétation des KALIN TWINS transformée en Rock' n' Roll.

Superbe Hillbilly de Leon Payne, guitariste non-voyant auteur de "Lost Highway", "I Love You Because" est mis à toutes les sauces. Si un tout jeune Elvis sifflotait tant bien que mal le refrain, tout un panel de countrymen s’attaque au morceau. J’avoue avoir plus de plaisir à écouter la version simple de Brenda LEE que les simagrées de Billie Jo Spears ou Willie Nelson. "Blue Velvet", standard de Lee Morris et Bernie Wayne, fut enregistré une première fois en 1951 par Tony Bennett, un crooner pleurnichard comme pas un. Repris pas Bobby Vinton en 63, la chanson devient Number One. Là, Brenda évite tout effet sirupeux et s’abstient de toute coloration mélodramatique outrancière. Autre ballade à l’eau de rose "I’m Confessin’ (That I Love You)" posé sur la mélodie de "Looking For Another Sweetie" connaît de multiples reprises, tant dans le domaine du Jazz instrumental que de la variété américaine. Si les versions du guitariste Pat MARTINO ou de Thelonious Monk restent encore favorablement dans les esprits, on ne compte plus le nombre de chansons dégoulinantes de guimauves et autres sucreries (Perry Como, Kay Starr, Tony Bennett). Pour le coup, Brenda nous sert un cocktail aux nuances délicates. Enième ballade avec "The Grass Is Greener" ⃰ dans laquelle on apprécie (ou pas) le timbre. Cette Grass est chantée chez nous par Colette Rivat, une parolière de Claude François, on vous laisse au passage imaginer la puissance verbale de l’adaptation. "As Usual" est le plus gros succès du disque dans les charts US. Là encore, si la ballade n’a rien d’extraordinaire du point de vue mélodique, la voix jamais forcée et l’excellente diction de Brenda parviennent à maintenir un semblant d’intérêt, surtout par rapport aux covers de Kitty Wells ou des Willburn Brothers.

Après nous avoir baladé durant les ¾ du disque, Brenda se décide à changer de voilure avec "My Whole World Is Falling Down", une véritable invitation à la danse de Bill Anderson et Jerry Crutchfield. Si Connie Smith met plus tard la chanson à son répertoire, on reste assez attaché à l’original de Brenda. Les amateurs de Yéyé et de variétoche à la française lui préfèrent peut-être "Si je chante" adaptation de Vline Buggy (l’une des sœurs Konyn) popularisée par Sylvie VARTAN. Comme on dit : chacun voit midi à sa porte. Brenda opère un virage à 180 ° avec "I Wonder", un Blues du pianiste Cecil Gant. Au fil des ans, la chanson est accommodée à diverses sauces ; Jazz Vocal (Etta Jones, Dakota Staton), Soul (Aretha FRANKLIN, Marvin GAYE, Ray CHARLES), Blues (BB KING, Clarence "Gatemouth" Brown) Blues Rock (Humble Pie). Brenda conjugue ici R&B et Jazz pour nous offrir un essai assez goûteux. Une version supérieure, selon nous, à celles plus récentes de Catherine Russell ou d’Aretha.

Axé en grande partie sur des ballades bien dans l’air du temps, Brenda LEE nous offre ici un disque qui vaut ce qu’il vaut mais se situe au-dessus de la moyenne de l’abondante production américaine du moment. Si quelques violonades s’intègrent à l’ensemble, on est loin des arrangements bouffis, remplis de cordes, à la Mitch Miller, Arif Mardin, Ray Conniff et consorts. Hormis les deux premières pistes, les autres ballades demeurent largement écoutables plus d’un demi siècle après leurs sorties. En 1964, Brenda fait la Une du magazine Disco Revue, se produit en France et en Angleterre devant la Reine Elizabeth, celle-ci toujours bien accrochée à son trône.

Note réelle 2,5.

⃰ Titre homonyme à celui chanté par Nancy Wilson.