Talking Book est un disque important. Il peut être comparé au Coatch a Fire des WAILERS à bien des égards, sorti quelques mois plus tard. Il intronisa la soul dans le temple rock comme Bob MARLEY le fit avec le reggae. Preuve de cette adoption, Stevie assure cette même année la première partie des ROLLING STONES, partage la scène avec Mick Jagger et reçoit les faveurs du public (huit ans plus tôt, les rôles étaient inversés). Cette prestation commune, au-delà du fantastique tremplin qu’elle constitue, montre bien la compatibilité des deux musiques et, à travers elle, des deux publics.

Stevie WONDER entame ici sa fameuse tétralogie dont la richesse et la densité ne faibliront pas jusqu’en 1976. Talking Book, c’est d’abord deux standards planétaires diamétralement opposés. "You Are the Sunshine of My Life", ballade intemporelle dont on ne compte plus les reprises (publicitaires ou non), et l’imparable "Superstition", tellement célèbre qu’on hésite parfois à lui attribuer un auteur.
Passés ces deux classiques, on découvre le cœur consistant de l’album, "Maybe Your Baby" et "Tuesday Heartbreak", joyaux pop-funk qui n’ont rien à envier à "Superstition", puis le subtil "Lookin’ For Another Pure Love" que Jeff BECK vient ponctuer d’un solo argenté. D’autres chansons à l’éclat moins évident mais à la qualité sûre complètent ce livre parlant et, à défaut de posséder la même efficacité, lui assurent sa qualité d’ensemble.

Talking Book illustre bien l’utilisation réservée à chaque instrument, souvent confiné à un rôle spécifique. Il met à l’honneur les cuivres et le clavinet qui renforcent son orientation funk. Le clavinet est un clavier à cordes pincées que WONDER emploie comme guitare rythmique pour produire un groove saccadé qui fera école ("Maybe Your Baby" ou "Superstition"). Il y poursuit son exploration du synthétiseur en le fondant dans l’ensemble jusqu’à en faire oublier sa présence. Les ondes du moog sont utilisées avec le piano pour leurs courbes sensuelles, et le clavinet avec la batterie pour ses arêtes rythmiques. On se rend compte que derrière l’apparente simplicité des chansons, la trame des claviers et les arrangements touchent à une sophistication invisible. Un travail de fond qui gagnera encore en force sur les trois albums suivants.

Talking Book marque un nouveau pas en direction du rock, avec ses parties de guitare électrique ou ses sections de batterie péchues, même s’il ne franchit pas encore la ligne pop, ni ne trouve l’équilibre génial d’ Innervisions. Le disque ne peut prétendre à l’excellence mais ne possède pas non plus de talon d’Achille. La note sévère est due à cette irrégularité, la puissance de l’album résidant dans la moitié de son matériel seulement. Il s’agit néanmoins du premier classique du Stevie seconde manière, et plus largement d’un classique de la soul. A découvrir absolument.