Johnny CASH fait partie des artistes de la scène country, avec Willie NELSON, Kris KRISTOFERSON et Waylon JENNINGS, qu'entoure une réputation sulfureuse de hors-la-loi au caractère bien trempé, irréductibles porte-parole des laisser-pour-compte, des loosers, de ceux, écorchés par la vie, mis au ban de la société et jetés en pâture aux crocs impitoyables de la justice américaine.
Sa discographie est là pour corroborer ladite réputation, que ce soit sa série de concerts inaugurés dans les prisons Folsom ou San Quentin, dont lui revient la palme de l'instigation, son disque de la trempe de Bitter Tears entièrement dédié à la mémoire du peuple amérindien dont, à une époque, il s'est cru un demi-descendant, sans oublier ses textes souvent nourris à la même source.

L'aura dont jouit 'l'homme en noir', perceptible jusqu'en Europe, s'accommode mal, au regard de la France, avec la piété ostentatoire de cette figure incontournable de l'âme américaine.
Cela nous surprend toujours en France quand une légende aussi virile que Johnny CASH s'adonne à l'exercice traditionnel de la célébration de Noël par le biais d'un album recueillant un échantillon de chansons traditionnelles. Le 'King' ni Jerry Lee LEWIS n'y ont échappé.
Si ce genre d'opération commerciale ne livre pour ainsi dire jamais de chef-d'oeuvre ni même d'albums mémorables à l'histoire de la musique populaire (pop-rock-soul), le cas de Johnny CASH est à mettre en relation avec sa personnalité intrinsèque, fortement marquée par la foi chrétienne qu'il n'a jamais hésité à honorer. En effet, sa discographie personnelle est traversée de part en part par la parole et les enseignements de Jésus, aussi bien dans ses opus personnels consacrés aux hymnes de son enfance, comme Hymns By Johnny Cash (1959), Hymns From the Heart (1962) ou My Mother's Hymn Book (2004). Il a également transmis la parole du Christ à travers le récit de son histoire dans The Gospel Road : A Story of Jesus (1973) ainsi qu'à travers un coffret monumental et fort singulier, Reading the Complete New Testament (2011), audio-book regroupant ses lectures du Nouveau Testament. Pour lui, chanter des gospels relève d'une évidence à mille lieues du mercantilisme propre aux maisons de disques qui ne font qu'exploiter un moyen d'empocher aisément le pactole.
C'est ainsi qu'il a célébré Noël, donc la naissance de Jésus, au moins à trois reprises dans sa carrière, en livrant en 1963 The Christmas Spirit, Classic Christmas et Country Christmas respectivement en 1980 et 1991.

Rien ne distingue a priori Christmas, objet de cette chronique, des autres albums de Noël interprétés par les stars de la Country et du Rock, si ce n'est une particularité du programme auquel il nous invite.
Signalons d'emblée qu'il n'est pas sorti sous le patronyme de Johnny CASH mais sous celui de The JOHNNY CASH FAMILY, qui ne correspond à aucun groupe officiel, contrairement au super groupe, THE HIGHWAYMEN, que CASH a fondé avec ses confrères Willie NELSON, Kris KRISTOFERSON et Waylon JENNINGS et qui a vu la parution de trois albums, entre 1985 et 1995. Si vous recherchez d'autres disques de THE JOHNNY CASH FAMILY, vous n'en trouverez aucun pour la simple raison que Christmas en est l'unique incarnation.
Comme l'indique son nom, l'album réunit les membres du clan CASH parmi lesquels sa belle-famille composée de son épouse June et des deux soeurs de cette dernière, Helen et Anita, toutes les trois membres elles-mêmes du groupe THE CARTER FAMILY, de son frère cadet et chanteur Tommy Cash, auxquels s'adjoignent quelques proches de la famille comme Lewis De Witt et les frères Don et Harold Reid (du groupe THE STATLER BROTHERS), le producteur-auteur-pianiste de Country Larry Butler ainsi que l'ami de longue date et rockeur rockabilly Carl Perkins.

La caractéristique de Christmas est d'alterner pistes chantées et dialoguées, ce que Johnny CASH réitérera à l'occasion de l'album-concept The Rambler, cinq ans plus tard, dont la formule approfondie gagnera en cohérence et pertinence.
Assez tôt dans sa carrière, J. CASH avait montré une prédilection pour la narration, le chanteur s'improvisant aussi conteur dès son opus majeur, Ride This Train (1960, chroniqué dans nos colonnes). Cette tendance au verbiage, à une époque où les rappeurs n'étaient même pas encore dans le ventre de leur mère, n'était pas du goût de tout le monde, au point qu'une édition de Ride This Train avait vu le jour, délestée de toutes ses parties dialoguées.
Il est évident qu'une fois mises de côté ses 10 pistes narrées ou dialoguées (totalisant près de 12 minutes) pour ne conserver que ses 11 parties musicales (airs et chansons interprétés par la famille CASH), la durée de Christmas s'en voit réduite du tiers, peinant à dépasser les 21 minutes. Cela fait peu pour satisfaire les oreilles musicales.
Mais, si l'on accepte le concept formel, alors Christmas offre une expérience des plus chaleureuses quoiqu'anecdotique, l'auditeur ayant l'impression, ô privilège !, d'être invité à la veillée de Noël de la famille Cash, les pistes dialoguées reproduisant les conversations de la soirée, tournant toutes autour de cette période conviviale des fêtes familiales de fin d'année. A condition de se débrouiller un minimum en anglais, avec l'accent américain de surcroit, et l'on peut apprécier les confidences des uns et des autres sur leurs parents, leurs souvenirs d'enfance émerveillés par la magie de Noël. Les crédits figurant sur la pochette ne précisent pas la source des enregistrements des parties dialoguées : s'agit-il du clan CASH réuni en studio et jouant théâtralement une conversation artificielle ? Si tel était le cas, l'exercice ne présenterait guère d'intérêt ou, du moins, ne serait pas aussi sympathique. Je me plais à croire que les dialogues parcourant le disque sont ceux-là mêmes échangés par Johnny CASH, June Carter et leurs amis et famille, au cours d'une véritable veillée de Noël, l'ensemble formant une mise en abîme d'autant plus émouvante que l'enregistrement pratiqué dans des conditions artisanales et des circonstances privées nous donne à pénétrer au coeur du foyer CASH, comme si nous étions assis à côté d'eux, écoutant leurs discussions, appréciant un aparté au piano, délivré par l'ami Lary Butler, entonnant avec eux les chants qui ponctuent la soirée sans autre ambition que celle du plaisir partagé, les interprétations des airs et chansons successives ne cherchant jamais la perfection. Si vous recherchez la version référencée des standards "Jingles Bells" et "Silent Night", passez votre chemin, ce n'est pas ici que vous assouvirez votre exigence.
La plupart des chansons sont méconnues, voire inconnues, de nos contrées hexagonales. Cela ne serait pas gênant si elles se montraient un minimum intéressantes ou séduisantes. Ce n'est pas vraiment le cas, ce qui retire au moins trois étoiles sur l'évaluation finale, le recueil proposé par Johnny CASH & co' ne brillant pas par sa pertinence. Les compositions s'avèrent plutôt banales, sans saveur particulière, défaut que compensent à peine les interprétations qu'en livre la famille de 'l'homme en noir'.

Le concept original de Christmas aurait pu donner un album sympathique et émouvant si les chansons avaient été mieux sélectionnées. En l'état, l'album reste une mise en abîme touchante, ayant la saveur des films super 8 de notre enfance, ces bouts de pellicules brûlées par le temps, aux images zébrées et approximatives, qui livrent autant de souvenirs familiaux, ici en l'occurrence ceux de la famille de Johnny CASH, une famille comme les autres, mais porteuse d'une portion de la belle histoire moderne des USA, celle de ses artistes devenus légendaires.

Merry christmas Johnny, June & friends.