En 1996, Richard D. James était en route vers la gloire avec son phénoménal Richard D. James Album. Comme l’autoroute du succès est bien grise et monotone, notre jeune prodige de l’électro décida alors qu’il allait s’amuser un peu. Selon la légende, il appela son pote musicien µ-ziq pour enregistrer un album et consommer tout son panier d’herbe, tout cela en une journée. Bien sûr, ces assertions sont tirées des interviews parfois mensongères d’Aphex Twin, méfiance donc. Le même Aphex Twin qui semblerait avoir renié cet album, prétextant la médiocrité du résultat, alors même qu’il sortit la chose sur son propre label Rephlex (là encore, méfiance). Unanimement considéré comme à part de la discographie de chacun des deux larrons, Expert Knob Twiddlers est au choix : raillé comme une pauvre bouse bien malodorante, ou bien célébré comme l’ultime preuve de l’originalité et de la polyvalence des deux artistes.

Ne l’aurais-je encore pas assez répété : « deux artistes ». Les deux officient sur le label Rephlex et sont considérés comme les étalons de leur petite écurie, Richard D. James (AFX) est Rich et Mike Paradinas (µ-ziq) est… Mike. Savoir qui a fait quoi sur cette galette relève de l’impossible, nous ne saurons donc qu’une seule chose sur le processus de création : c’était 50/50. Reste à démasquer le gros malin qui a récupéré des samples de jazz pour en faire moins que son petit camarade. Oui, « jazz », ce mot sonne comme un appel à la révolution prolétarienne à vos oreilles de conservateur électronique (ou pas). Et pourtant ça marche, enfin presque. Sur Jelly Fish, Eggy Toast et Giant Deflating Football, lesdits samples se marient admirablement bien avec les bip-bip et les voix/bruit de respiration du duo infernal, n’enlevant rien à l’ennui profond que j’éprouve en écoutant ces trois titres. Parfois c’est un peu mieux, Upright Kangaroo pourrait être un très bon titre s’il n’était pas irrémédiablement gâché par des bruits de rots en fond sonore. The Sound Of Beady Eyes est agréable avec ses percussions légères, mais s’étale en longueur d’une façon trop répétitive.

Heureusement, quelques moments délicieux viennent sauver ce Expert Knob Twiddlers du tout juste médiocre. Vodka est un oasis d’IDM rafraîchissant, distillant quelques gouttes de précieuse obscurité sur cet album tout en rose vif, avec un son grésillant très Analogue Bubblebath. Reg et Winner Takes All proposent chacun des approches plus originales, avec un côté Drum n’Bass pour le premier et un xylophone (ou autre instrument haut en couleur) du meilleur effet pour le second. A noter l’excellente conclusion de Winner Takes All, qui laisse un peu l’auditeur sur sa faim. Mr Frosty quant à lui, mélange groove et petites touches d'Ambient pour mon plus grand bonheur. Reste l’amusant bu bu bu ba, ultime récital de notre paire de doux dingues, mis en valeur par ses sonorités vieillottes et les sifflements apaisés de l’un des deux musiciens, tandis que l’autre, je vous le donne en mille, chantonne « bu bu bu ba » d’une petite voix inquiétante.

Juste bon et divertissant, Expert Knob Twiddlers n’a aucune prétention au génie et ne s’en sort pas trop mal dans son genre. Intéressant parce que l’une des rares collaborations du solitaire Aphex Twin, l’album devient culte quand on goûte volontiers les pochettes farfelues. Ici, le faciès hilare de Richard D. James côtoie la mine concentrée de Mike Paradinas autour d’un jeu de société, tout ceci n’étant qu’un montage amateur et volontairement mal fait de la boîte originale dudit jeu de société. A réserver aux collectionneurs donc.