Intriguant… rien ne semble mieux définir l’univers si ambivalent du groupe ANTONY AND THE JONHSONS et son leader Antony Hegarty. Avec son physique rond, son teint blanchâtre et ses grands yeux perdus dans le vide, son goût pour l’androgynéité et le cabaret, il est un personnage tout ce qu’il y a de plus troublant et excentrique. D’abord remarqué par David Tibet, leader de CURRENT 93, qui leur permettra de sortir leur premier essai éponyme sur son label Durtro, ils deviendront ensuite les protégés d’un certain LOU REED. Une aubaine pour le groupe qui ne cessera alors de gagner en reconnaissance et en fans célèbres. Parmi leurs nombreuses collaborations, on retrouve COCOROSIE, BJÖRK, RUFUS WAINWRIGHT, DEVENDRA BANHART, BOY GEORGE et bien entendu LOU REED (les 4 derniers sont présents sur l’album). Ainsi, en 2005, leur second bébé, I am a Bird Now voit le jour. Véritable succès critique, il leur permettra d’accroitre considérablement leur renommée.

A l’instar du leader, I am a Bird Now s’adonne sans complexe à l’étrangeté. Passé l’énigmatique pochette représentant Candy Darling, actrice transsexuelle et égérie d’Andy Wharol, l’auditeur se retrouve plongé dans un monde mélancolique et sombre, où le mystère et l’ambiguïté se confondent au travers de la superbe voix du sieur Antony. Un timbre chargé d’émotions, jouant parfois sur les excès, mais teinté d’une sensibilité exacerbée. Le chanteur livre une prestation bouleversante, mettant à nu ses sentiments sur le monde qui l’entoure : la relation entre la mort/l’amour, l’androgynéité, le sado-masochisme… Théâtral sans jamais tomber dans le pompeux, il laisse ses fêlures parler sous couvert de mélodies d’une simplicité désarmante mais particulièrement arrangées.

La brillance du piano marque au fer rouge toute la sensibilité de cet auteur, le violon et le violoncelle laissent transpirer toute leur mélancolie, et des touches de cuivres amènent un versant soul/gospel/jazz/ indéniable à l’ensemble. En résulte des instants sensuels, imprégnés d’une grande poésie et d’un spleen évident. Très à l’aise dans le registre piano/voix, il multiplie les moments poignants, tel l’incroyable morceau d’entrée « Hope There’s Someone » hanté par des couches de voix superbes et d’un piano aérien, « Man Is The Baby » dont la tristesse est très bien complétée par les cordes, ou le morceau final « Bird Gerhl ». L’influence soul est aussi très palpable : « Spiralling » qui se distingue par ses vocalises feutrées dans les couplets, « Fistfull Of Love » fausse ballade à forte tendance gospel toute habillée de cuivres, mais aussi le duo de velours « You Are My Sister » avec BOY GEORGE.

Antony Hegarty, dont la voix oscille entre fragilité et puissance, peut agacer dans sa quête d’identité et se faire taxer de pleurnichard de service. Pourtant, I am a Bird Now, s’il se révèle prenant, ne tombe jamais dans l’abus de sucreries. Vibrant et subtil, il offre à l’auditeur une intimité et une introspection que peu d’œuvres sont capables de susciter. Comme je n’ai cessé de le préciser, I am a Bird est sujet à l’ambiguïté et pas seulement dans les paroles : car sous son ambiance neurasthénique, la lumière ne cesse de s’échapper en filigrane. Et c’est là son atout principal : dans ce mélange de force et de vulnérabilité.