Côté pile Les CROQUANTS : Danito et Franck Marty, duo de languedociens repriseurs de classiques et de pépites de la chanson française. Côté face La VARDA : les deux mêmes, avec quelques musiciens supplémentaires pour jouer leurs compos dans une veine trad-folk survitaminée. Et, d’un côté, Ça sent la bière, premier et remarquable enregistrement des CROQUANTS ; de l’autre Folk you !, son pendant de la formation sœur sorti quelques mois plus tard. Au-delà du fait d’avoir été enfantés par les mêmes personnes, relevons d’autres liens de parenté : les pochettes au concept similaire et le fait d’avoir capté ces albums sur les scènes de troquets narbonnais. Dans ces colonnes, nous les rangerons dans la catégorie des disques studios car il s’agit avant tout de chansons originales, que ces groupes n’ont pas réenregistrées plus tard en studio. Ils font partie de la série principale et ne sont aucunement des supplétifs. Et puis il existe bien des albums live enregistrés en studio, alors pourquoi pas des albums studios enregistrés en public ?

Tu vas me dire que, dans le cas de La VARDA, il y a bien eu au préalable un enregistrement studio intitulé Un premier pour la route, dont on retrouve ici la plupart des titres. J’ai mentionné en le chroniquant que certaines sources considèrent ce disque comme le premier album tandis que d’autres laissent à Folk you ce statut. Je rejoins ces dernières pour deux raisons principales. Je ne développe pas la première, en renvoyant à la chronique de la parution suivante (Les Chemins de l’errance). La seconde, c’est une construction d’album autrement plus ambitieuse. Sa longueur parle pour lui, avec une durée d’écoute qui dépasse l’heure, de même que les versions des morceaux généralement bien plus développées, avec de larges plans instrumentaux propices à la danse.

C’est que La VARDA s’inscrit dans la tradition des bals folks, des balèti comme on dit par chez nous. Il leur importe dès lors de laisser la musique vivre amplement, bien au-delà du texte des chansons qu’ils proposent. Des introductions peuvent prendre plusieurs minutes, des conclusions plus encore. Il ne s’agit pas de faire danser à tout prix, ça reste un disque qui s’écoute. Il faut dès lors que ces passages instrumentaux soient vivants. Qu’ils aient du souffle, du relief, des variations ou des nuances. Pour cela, ils font preuve d’un savoir-faire évident. La section rythmique imprime une pulsation entrainante sur laquelle les trois autres musiciens s’envolent. Par rapport à l’enregistrement précédent, le groupe a en effet intégré un instrumentiste supplémentaire, ce qui lui donne une amplitude nouvelle.

Car celui-ci, répondant au surnom de Janosh, est venu avec de nombreux instruments : accordéon, violon, vielle ou encore cornemuse. Ce qui permet d’ouvrir le spectre sonore, mais également de faire des duos d’accordéons avec Franck Marty ou de violons avec le troisième larron, Hai Nguyen. Ces moments de dialogues sont toujours pleins de vie, de créativité. A eux trois, ils nous font voyager dans de nombreuses contrées. La VARDA a une attirance particulière vers l’Irlande, que ce disque visite à plusieurs reprises. Mais elle bourlingue aussi avec gourmandise vers l’Europe de l’Est et ses accents tziganes. Sans oublier des morceaux bien de chez-nous, de ce terreau occitan dans lequel le groupe puise ses racines.

Il fait ce voyage à cent à l’heure, sans véritable pause. Tout s’enchaine dans une énergie débordante, dès l’introduction qui fait directement décoller le vaisseau. Une cornemuse lente et profonde annonce que ça va envoyer, puis un violon folkeux à mort, ainsi que l’accordéon, disent que ça va guincher. Enfin le côté rock de la section rythmique démarre et tout s’allume. La recette est mise directement en application ; elle trouve par la suite de nombreuses déclinaisons toujours vivifiantes. Le tout couronné d’une interprétation des chants aussi fougueuse que ce que nos deux compères font dans Les CROQUANTS. La VARDA déploie une surface musicale très plaisante, avec une intensité qui te transporte en un clin d’œil.

Formellement, le disque alterne entre les chansons et de longs passages musicaux aux ambiances particulières. Ce sont les quatre "Voyage", qui sont les passages les plus libres et étonnants. Assemblages d’airs d’un peu partout ou expérimentations sonores (notamment avec une flûte étonnante dans le dernier), ils concentrent sur quelques minutes cette alchimie du groupe qui fait vibrer tout le monde. Comme ils le disent à la fin, ça met les poils ! C’est là que le choix d’enregistrer en public paye. Parce que cette vibration est amplifiée par l’échange avec les gens présents, ce qui se ressent encore sous le casque. Le même disque en studio aurait peut-être été un peu plus fin et détaillé, en un sens plus riche. Mais il lui aurait manqué cette énergie, cette vie qui nous lance sur les routes du voyage. Nous marchons derrière la roulotte du groupe qui nous entraine, tel le légendaire joueur de flûtes, en dansant.