AVERTISSEMENT : cette chronique de bande originale de film est également susceptible de contenir des révélations sur le film

Quel plaisir de voir DISNEY/Pixar enchaîner de nouveau les bons/très bons films, à défaut d'être des chefs d'oeuvre ! Un peu comme s'il y avait une continuité qualitative entre Raya et le Dernier Dragon (2021), Luca (2021) et Encanto : la Fantastique Famille Madrigal (2021 aussi), placée sous le signe des princesses ou alors d'une simplicité narrative qui n'est pas sans rappeler ce qui était proposé aux petits comme aux grands d'il y a 70/80 ans. Certes, le ton n'est pas tout à fait le même. Avant, ce cinéma animé était une ressource principale de rêve, alors qu'aujourd'hui on assiste plus un divertissement parmi d'autres qui lutte pour ne pas laisser toute l'attention aux smartphones et autres manifestations du fatalement réaliste et très arrangeant 'le monde change, les gens changent'.

Encanto possède un trio de réalisateurs, Jared Bush (co-scénariste de Zootopie), Byron Howard (Volt Star Malgré Lui, Raiponce et Zootopie) et Charise Castro Smith (co-productrice de Raya), celle à qui l'on doit le plus la tournure de l'histoire voulue. Dans une Colombie imaginaire et montagneuse, un village isolé vit au rythme de la famille Madrigal, nombreuse et bariolée, qui possède ses rites, chaque enfant se voyant initié et attribuer un don, et une grande maison pleine de secrets. Mirabel, cette année, doit connaître son propre bonheur mais, manque de chance, le soir voulu, la chandelle, symbole protecteur de la famille, ne lui procure rien de spécial. En outre, dans l'édifice familial jusque-là solide, des fissures apparaissent que Mirabel est la seule à constater.

Entre simplicité et féérie, jouant sa dynamique sur les différents membres de la famille, le sort réservé à l'héroïne et les mystères de la famille, Encanto est un très chouette film à défaut d'être un chef d'oeuvre. Les villages de l'extrême-nord de la cordillère des Andes ont nourri l'inspiration pour ce qui était annoncé comme un nouveau film-comédie musicale depuis 2016. La musique, quant à elle, est sans doute la meilleure proposée par DISNEY/Pixar depuis plus de dix ans. Les chansons sont écrites par Lin-Manuel Miranda, qu'on a connu avec Vaiana (2017) et qui va peut-être enfin, sur la longueur, constituer un digne successeur au génie-enchanteur Alan Menken. Quant à la B.O instrumentale et à la direction, grande nouveauté au sein de l'histoire des studios, puisqu'elles sont l'oeuvre d'une femme, la Mexicaine Germaine Franco, ancienne élève de l'éminent percussionniste cubain Luis Conte et déjà remarquée pour la partition (à juste titre) de Coco (2018).

Cette B.O aussi colorée que le film puise naturellement dans le folklore colombien avec la musique reine, à savoir la cumbia. Le grand pari réussi de Franco, c'est d'avoir offert un emballage instrumental plus qu'à la hauteur et qui, malgré quelques légères retombées inévitables, s'écoute agréablement d'un bout à l'autre, avec de splendides fulgurances. Avec d'abord la courte féérie "Hola Casita!" puis "Abre los Ojos", en douceur enfantine hollywoodienne, puis en montée dramatique mêlant chorale et hautbois doucereux pour finir par une romance latine aux guitares. On peut s'attendre à d'aussi belles prouesses par la suite. L'accordéon, instrument vite jugé péquenaud, ringard, brille ici de mille feux, parfois en simple tapis ("I Need You"), parfois carrément en partie doublée comme sur "La Cumbia de Mirabel".

Les autres morceaux d'orfèvre proposent du tribal orchestral rendu enfin passionnant grâce à un très beau jeu libre sur les voix de la chorale, féminines surtout ("Antonio's Voice"), du funk mélangé à de la danse de salon ("El Baile Madrigal" avec ses soli de saxophones), des moments de mystère épique bien dosé ("The House Knows") ou encore du très simple comme les magnifiques "Impresiones del Encanto" au duo de guitares classiques façon nocturne. Franco maîtrise parfaitement ses rythmes et ses tons avec des petites perles comme "The Rat's Lair", tout en légèreté, "Dysfunctional Tango" portant bien son nom. Entre tous ces trois temps magiques, binaire ou ternaire, la directrice musicale nous régale de "Chasing the Past", "Ultimate Vision" et "Camino de Mirabel" plus fouillés et riches en détails : célesta, piano coulé, hammered dulcimer.

Malgré ce bel effort, c'est peu dire qu'Encanto est une oeuvre de chansons, et pas des moindres. Le titre en espagnol signifie 'enchantement' par rapport au lieu voulu et la magie distillée (comme, d'une manière ou l'autre, dans tout bon DISNEY), mais dedans il y a aussi 'canto', 'je chante'. Après l'Italie dans Luca, un autre souffle latin est directement, différemment et plus que joliment insufflé dans les studios, de l'air qui circule entre les Andes et les Caraïbes. Miranda, le compositeur, n'est pas en reste sur sa collègue avec ne serait-ce que la chanson-titre, "The Family Madrigal", typique de la comédie musicale avec ses nombreuses interactions entre diverses voix. À noter que les acteurs, Stephanie Beatriz pour Mirabel, John Leguizamo pour Bruno (doublé par José Garcia en VF, loin de sa prestation dans Mulan pour Mushu), Jessica Darrow en Luisa etc, ne sont pas chanteurs de base, mais le résultat est tout comme. Une danse exotique portée par l'accordéon, simple mais en superbe progression, jusque dans le faux 'rap' de fin.

Forcément, à une époque où les musiques de cette région du monde, remises au goût du jour, dominent, l'accent roulant de Beatriz, pour le moins délicieux comme tout ce qui l'entoure, avait de quoi remporter les faveurs. Seulement voilà, les chansons d'Encanto ont ce truc en plus de faire de l'actuel avec de l'avant, en bien, en soigné. "Surface Pressure", la chanson sombre de Luisa Madrigal, fille costaude qui vit mal sa condition, emprunte au reggaeton autant qu'au girl-power avec un timbre qui pourrait facilement paraître racoleur en dehors du film, mais ici non. Le refrain typiquement actuel avec 'bégaiements', le rythme chaloupé avec des loops, le texte comme la mélodie, tout y est très bon. Cette chanson en marge pourrait être la meilleure, vu comme le reste est joliment uni, plus ou moins dans les mêmes couleurs.

Mais en dehors de "The Family Madrigal", il y a "All of You", toute aussi bariolée et vivifiante dans ses vocaux comme sa construction. Il y a "What Else Can I Do?", biguine avec guitares et piano en avant, très efficace, que la SHAKIRA d'une certaine époque, Colombienne emblématique dont on s'explique mal l'absence (même si elle était dans Zootopie), n'aurait point reniée. Il y a "Waiting on a Miracle", reprise de la chanson-titre en version ballade baroque-andalouse géniale, développée ensuite avec cordes et batterie. On note sur "We Don't Talk About Bruno", rumba sensuelle à souhait, un arrangement fait de cuivres et d'effets de claviers, d'onde Martenot même pour le côté fantôme et de rythmiques programmées sans lourdeur. Et dans ce monde légèrement matriarcal, le thème de Bruno, "Dos Oruguitas", n'est pas en reste, avec chant masculin suave sur de splendides guitares nylon en arpèges et 12 cordes acoustiques coulées (duo magique qui se retrouve par la suite sur des instrumentaux), clarinette, accordéon, orgue sifflant etc d'une grande délicatesse. Comme s'il remplaçait les chansons de princesses. En tout cas, cela fait un paquet de merveilles.