Nouveau changement au tournant de la décennie : le contrat des BEACH BOYS avec Capitol Records cesse et ils s'en vont chez Reprise Records, nonobstant pas mal de déboires concernant la vente de leur catalogue. À l'époque, même avec leurs derniers très en dents de scie niveau ventes, ils sont le groupe américain le plus bankable au monde. Niveau partenariat, donc, ce n'est pas rien. Néanmois, plus encore que les précédents, Sunflower (1970), premier paru chez Reprise a été copieusement boudé à sa sortie aux U.S.A., le rock étant devenu trop 'dur' pour permettre au grand public d'apprécier une musique aussi fine (contrairement aux critiques bien à leur place et enthousiastes). En outre, l'autre gourou fada a commis ses atrocités et, en amont, parce que Dennis Wilson a été trop gentil, cela déteint sur l'image du groupe pendant un temps.

Une fois encore, il faudra du temps pour un album des BEACH BOYS avant qu'on ne reconnaisse sa qualité réelle, Sunflower étant souvent jugé désormais comme le plus appréciable parmi tout ce qui suit Pet Sounds (1965), voire avant. C'est l'avis d'un Bruce Johnston, pas rancunier alors qu'au moment de la sortie en fin d'été, les trois frères Wilson lui cherchent un remplaçant permanent sans qu'il le sache – il partira, mais pas tout de suite, et pas trop longtemps. Bref, ça bouge beaucoup dans cette équipe, parfois tellement qu'on se demande comment ils peuvent rester stables. Même Brian Wilson, désormais papa pour de vrai d'une toute petite Carnie et avec un démarrage assez désastreux question investissement familial, trouve l'énergie de façonner l'album, pas qu'un peu.

Sunflower, plus encore que 20/20 (1969), montre cette fois bien tous les membres concernés sur sa pochette, et l'équilibre de forces ne fait que s'accentuer. Brian se taille toujours la part du lion, mais sa seule composition solo est "This Whole World", pop-song chargée en doo-wop et en spiritualité, avec une audace contenue mais de quoi largement enchanter déjà. Au chant lead, il laisse la place à son frère Carl et en vérité on l'entend peu ; il compensera en ressortant de l'ombre pour monter sur scène en remplacement de Mike Love malade, lors des premières dates de la tournée. Les autres BEACH BOYS prennent confiance en eux et même Mike tient sa réussite au chant avec la superbe "All I Wanna Do", pop californienne 'dreamy' comme on l'aime, avec batterie-crème, petit arpège...

Un seul single, qui s'illustre à grand-peine cela dit dans les charts américains, se trouve être "Add Some Music to Your Day", où tous les membres du groupe sauf Dennis se succèdent. Une ode à la musique en beauté fastueuse, avec encore des guitares inspirées, une batterie qui rentre tout doucement, un pont plus rose et nuancé, des cordes discrètes et belles... Dennis, lui, se rapproche de Gregg Jakobson (lui aussi revenu de Manson et sa secte), ami qui l'aide aux paroles, et apporte "Slip on Through", bonne soul beachboysienne appuyée avec cuivres et cordes, ainsi que la plus rock et fiévreuse "It's About Time" pour Mike et un Carl qui se laisse emporter (excellents congas-batterie mitraillettes, orgue et choeurs en tapis).

Dennis chante lui-même "Got to Know the Woman", pourvue des mêmes qualités, arrangements grandioses (choeurs féminins à gauche, gars de la famille à droite) et effet de surprise, aussi vrai que sa "Forever" se montre simple, sensible, enfantine... Et Bruce Johnston donc, qui aime particulièrement ce disque, n'est pas en reste avec "Deirdre" (avec Brian certes), joli prénom irlandais de femme (en l'occurrence la soeur d'une ex-petite amie), si bien apporté au début de la chanson, nébuleux, avant que la musique n'oscille entre tambourins et fanfare, refrains en voix de tête... Un excellent morceau, mais Bruce s'illustre davantage avec "Tears in the Morning", compo très solo dans le chant comme l'écriture, avec des couplets très 'européens' (accordéon parisien et mandoline méditerranéenne s'y succèdent), un piano romantique et lointain adorable à la fin...

Pour sûr, à défaut d'être un chef d'oeuvre, Sunflower est d'une grande finesse, y compris dans la tentative de resucée de "God Only Knows" l'indétrônable avec "Our Sweet Love", chantée par Carl en plus. Le final "Cool, Cool Water", malgré la traditionnelle collaboration Mike Love/Brian Wilson, semble vouloir donner une nouvelle vision de la surf-music (rouleaux de vagues en fond) et qui d'ailleurs va ressortir sur le génial album suivant. Quant à la postérité, la toute mignonne et printanière "At My Window", co-signée Al Jardine et Brian (mais chantée par ce dernier avec Bruce), avec ses piccolos et guitares feu de camp, voit le premier enregistrement, par une utilisation très gazouillante naturellement, de mademoiselle Carnie Wilson, âgée de deux ans à peine. Sachant que sa petite soeur Wendy vient d'arriver et que vingt ans plus tard, elles suivront bien les traces de papa Brian avec leur propre groupe !