La sublimation est le passage d’un corps directement de l’état solide à l’état gazeux. C’est un processus qu’on a un peu de mal à imaginer de prime abord, surtout si l’on songe à un métal tel que l’or donc potentiellement disponible simultanément en gaz, liquide et solide dans certaines conditions remarquables, à savoir une température et une pression données que l’on nomme point triple. Un rêve pour tous les prospecteurs en herbe !
La réalité est plus prosaïque que cela, certains corps ayant un point triple particulier où ils peuvent avoir trois formes différentes mais du même état rigide tel que le silicate d’aluminium, une caractéristique s’appliquant sans doute à notre cher or et autres métaux précieux ou non.

Dans le cadre du venera, ce minerai inconnu sur Terre dont l’existence fut révélée publiquement en 3023, les recherches que menèrent les scientifiques à son sujet purent déterminer que les conditions lui permettant d’atteindre ce fameux point triple seraient exactement celles baignant la planète Vénus.
Revinrent ainsi en mémoire les programmes spatiaux soviétiques du millénaire précédent destinés à explorer cette planète et dont les spécialistes crurent un moment qu’ils n’étaient qu’une simple réponse démarquée à la course à l’espace enclenchée par les États-Unis. Néanmoins un indéniable succès, ces explorations permirent de déterminer les caractéristiques de la planète, au niveau de son sol et de son atmosphère notamment.

Un bruit circula à l’époque selon lequel les Soviétiques avaient fait une découverte révolutionnaire pendant ces missions. Impossible d’en avoir la preuve formelle, l’information fut jalousement gardée secrète par le régime, pas même les meilleurs espions ne s’avérèrent efficaces, y compris après la chute de l’URSS. Les spéculations allèrent ainsi croissantes, tour à tour inquiétantes ou seulement curieuses. Jusqu’à ce petit jour d’octobre 3023 où l’on retrouva un homme mort dans une impasse new-yorkaise. On ne put l’identifier formellement, ce dernier ne possédant aucun papier sur lui, il demeure d’ailleurs toujours inconnu à ce jour. Cependant, serrée au creux de son poing gauche, une petite pierre dont on pensa qu’elle ne fut qu’ordinaire jusqu’à ce que les analyses ne révèlent un minerai totalement inédit sur Terre, mettant ainsi en ébullition les cerveaux des scientifiques alentour. Puis, la décision fut prise d’une nouvelle mission spatiale vers Vénus afin de tenter d’éclaircir ce mystère.

Les éminents Chris HUNT et James SCHAFFER, largement connus pour leurs travaux concernant la désintégration des hologrammes et l’érosion alignée, furent choisis en tant que chercheurs civils. Ils embarquèrent dans la navette, intrigués par ce qu’ils pourraient voir sur Vénus mais évidemment terrifiés, les voyages spatiaux restant soumis à des aléas particuliers malgré les progrès indéniables réalisés au cours du troisième millénaire tel le système de cryogénie complexe permettant de réduire les effets de l’espace-temps. En 3023, il n’est ainsi pas inhabituel de voir des hommes d’affaire passer des week-ends lunaires, les soirées sans fin à base de sélénites à ingérer ayant fait la réputation galactique du satellite.

Quand HUNT et SCHAFFER se réveillent, l’équipage a disparu. Le capitaine Alain JOHANNES ainsi que les sous-officiers Deantoni PARKS et Jacob DUZSIK, rencontrés seulement quelques minutes avant le départ, restent introuvables. Aucune trace de violence néanmoins, les équipements d’exploration sont en place, c’est comme si les militaires n’avaient jamais embarqué. Le duo prend tout de même la décision de partir à leur recherche sur la planète.

Même s’ils ne s’en ouvrent pas, c’est une tension insoutenable qui s’abat sur eux à l’ouverture du sas, révélant un paysage impensable en plus d’un silence étouffant seulement interrompu par des bourrasques soulevant un sable toxique et balayant un ciel orangé. Ils mettent de côté cette émotion qui les étreint et engagent une marche prudente. Quelques pas plus loin, il leur semble reconnaître une silhouette bravant une tempête dont la violence s’accentue. L’ombre s’écroule sur le sol aride. Il leur est difficile de reconnaître le capitaine JOHANNES, son casque fracassé révélant un visage livide dont l’humanité s’est métastasée et une bouche recouverte de mystérieux cristaux. À moins qu’il ne s’agisse de quelqu’un d’autre, vague passager clandestin voire local de l’étape mort d’avoir respiré trop d’hélium ? Cela paraît impensable… Et pourtant.

Telle une prémonition, une sourde panique gagne simultanément les deux hommes, les poussant instinctivement à regagner au plus vite le vaisseau. Ils tournent les talons et se dirigent vers l’immense colonne zébrant la voûte céleste. Cette planète est visiblement inhospitalière. Mais nous reviendrons se disent-ils intérieurement.

À peine cette pensée évacuée qu’ils distinguent une immense forme hérissée barrer le passage menant à la porte de la navette. À mesure que la vision se précise, l’horreur grandit. La créature, aux contours incertains faits de millions de couteaux et à la bouche recouverte de bulles d’eau à la fois solides, liquides et gazeuses, demeure immobile, semblant figer le khamsin vénusien. Quand la fractale abomination s’éveille, ce n’est que pour révéler deux éclats flamboyants et hypnotiques.

Une paire de venerae symétriques scintillant d’un violet étrange dans lesquels naissaient les cauchemars des générations passées, présentes et à venir.