On l’avait senti venir à des kilomètres, n’ayant plus de son et d’image depuis un certain temps, craignant confusément une réponse qui nous pendait pourtant au nez.

Peut-être bossaient-ils en secret sur des chansons inédites, ou étaient-ils confrontés au syndrome de la page blanche, après tout ils ne seraient ni les premiers ni les derniers, The BLUE NILE n’ayant sorti que quatre albums en près de 45 ans… Voilà quelques arguments permettant d’esquisser un semblant de rassurement, seul dans l’obscurité, adossé à son armoire à disques, non loin du coin où ont sagement élu domicile Schlagenheim, Cavalcade et Hellfire.

L’information, tel un couperet, est donc tombée le 11 août 2024, le compte Instagram du chanteur et guitariste de la formation Geordie GREEP indiquant alors que "black midi était un groupe intéressant cependant indéfiniment terminé". Nouvelle pirouette ou vraie rupture ? Il semblerait que l’on penche pour la seconde option au vu de la réponse du bassiste Cameron PICTON sur X qui affirma via un tweet désormais effacé qu’ils "avaient convenu de ne rien dire concernant la rupture" et qu’il fut "aussi décontenancé que tout le monde". Toutefois, le projet de son album solo lui fit prendre la communication de manière philosophique et positive. Un enregistrement qu’on attend toujours, nonobstant quelques mixtapes, contrairement à celui de GREEP publié le 4 octobre 2024.

Ce qui frappe d’emblée, c’est cette jaquette, qui malgré sa couleur jaune éclatante, s’inscrit fatalement dans les pas des chevaux métalliques, usines de chewing-gum ou capharnaüms urbano-célestes précédemment usités. Une imagerie ne sachant véritablement choisir entre gore et grotesque, faisant figurer un homme tiré à quatre épingles néanmoins sauvagement décapité, la coupable étant sans nul doute possible cette femme armée d’une serpe et embrassant cette tête fraîchement saisie à vif. L’œuvre puise sa substance profonde au cœur des travaux du peintre japonais Toshio Saeki, ce dernier ayant contribué de manière importante à la transformation d’un mouvement artistique né au cours des années 1930 au Japon nommé ero guro combinant érotisme et macabre.

En second lieu, l’inscription, encastrée en haut à gauche, interpelle. Un nouveau son. À l’écoute de l’introductif "Blues" qui n’en a que le nom, l’impression est plus d’assister aux suites des aventures black midi notamment à travers la présence caractéristique du surpuissant batteur Morgan SIMPSON complétant le chant reconnaissable entre mille de GREEP – qui l’abandonnera le temps d’un émouvant "Motorbike" à son acolyte Seth EVANS. Toutefois, "Terra" concrétise une recherche sonore battant son plein via un morceau aux accents sud-américains marqués faisant partie d’un package enregistré à São Paulo.

Le disque propose de la sorte un voyage entre Europe et Amérique du Sud en compagnie d’une multitude de musiciens, s’affranchissant non seulement de limites géographiques mais également temporelles et stylistiques avec des compositions explosant allègrement les durées pop standard, ce que black midi avait déjà esquissé. La pièce de bravoure symphonique "The Magician" culmine ainsi à plus de douze minutes et convoque un YES lyrique néanmoins chaotique sur un final digne des SWANS ou du "A Day in the Life" des BEATLES. Les multiples influences s’avèrent donc parfaitement digérées, au service d’une écriture complexe rappelant parfois Pete TOWNSHEND (l’instrumental épique "The New Sound", "Through a War" où la proposition Who’s Next peut être entendue) et donnant vie à un rock sporadiquement sec ("As If Waltz" malgré une fin groovy agrémentée d’un terrible solo de guitare), souvent riche en couleurs tel ce "Holy, Holy" dont les synthés lumineux et fanfares évoquent un SANTANA pris au piège d’une samba endiablée.

"If You Are but a Dream" achève les hostilités sur une note romantique et apaisée, on raconte dans certains cercles cinématographiques que ce jazz WAITSien aurait figuré parmi les premiers choix de Coralie Fargeat afin d’orner le final du dérangeant The Substance. Notre objet physique discographique The New Sound semble confirmer cet état de fait, exposant un membre humain à la difformité grotesque digne du long-métrage, probable clin de paume à l’inaugural disque gravé par les SYSTEM OF A DOWN.