Qui n'a pas vu Stephan EICHER en concert mène une existence incomplète. Il y a dans les prestations en public de l'artiste quelque chose qui relève à la fois de l'intime et de l'universel. Ainsi, il est naturel que le premier album en public du Bernois porte en lui quelque chose de singulier, de résolument original. Non Ci Badar, Guarda E Passa..., Ne t'en fais pas pour ça, regarde et passe...

15 ans après ses débuts, Stephan EICHER connaît un succès important dans la Francophonie grâce à son album Engelberg et son successeur, Carcassonne qui, s'il ne contient pas de "tube" de la trempe de "Déjeuner en Paix", présente nombre de morceaux forts qui s'inscriront durablement dans le répertoire live du bonhomme ("Ni Remords, Ni Regrets", "Manteau de Gloire", "Des Hauts, Des Bas", entre autres). Publié chez Barclay en 1994, ce premier album en public est plus qu'un simple live. Véritable disque livre, constitué d'un livret de près de 80 pages, il nous offre à découvrir des photos prises en tournée, en Suisse, en Camarque, ainsi que des textes qui, comme un journal de bord onirique et légèrement désaxé, restranscrit le joyeux bordel qui règne alors au sein de la troupe cosmopolite de musiciens. Des impressions rédigées en anglais, en allemand, en français, par Stephan lui-même ou ses camarades.

Et puis puis, il y a la musique. Sur un premier CD nous sont présentés des extraits de concerts captés durant l'été 1994, au festival de Montreux, dans les théâtres antiques de Vaison-La-Romaine et de Carcassonne, enregistrés grâce au studio mobile de Dominique Blanc-Francard. Ceci nous donne un rendu un peu fourre-tout, mêlant nombreux extraits de l'album Carcassonne, qui s'expriment fort bien dans un environnement live, de nombreux classiques ("Pas d'Ami (Comme Toi)", "Rivière"), et une poignée de reprises, parmi lesquelles une tendre version de "I Can't Help" et une plus iconoclaste de "Putain, Putain" d'ARNO, dont les paroles s'appliquent parfaitement à la vision de l'artiste "Putain, putain, c'est vachement bien, nous sommes quand même tous des Européens". Constitué de 19 morceaux, ce premier CD pourrait presque se suffire à lui-même, et s'il nous présente la facette la plus rock de Stephan EICHER, à l'image de ses albums récents, il nous permet de savourer la création artistique bariolée et nuancée du Suisse.

Le deuxième CD est une sorte de joyeux fourre-tout, un ensemble de chansons ou de bribes de chansons, enregistrés pour combler l'ennui. Ces morceaux ont été enregistrés entre février 1993 et août 1994 à Carcassonne, à Montreux, en Camargue, à Marseille, à Nouméa, dans tous types d'environnements : dans le tour-bus, sur le quai d'une gare, dans un bar miteux, dans une chambre d'hôtel, une église, ou même sur une plage en bord de mer... Ce sont véritablement des moments de vie que nous offre ici le chanteur, nous offrant par exemple une version préliminaire du morceau "Louanges" (plus tard intégré sur l'album du même nom), dont l'enregistrement est interrompu par la sonnerie d'un téléphone. L'ensemble se fait très original, et les éléments extérieurs jouent ici un véritable rôle, les bruits d'orage et de pluie ayant été conservés sur les bandes. Il y a ici de la joie, de la fantaisie, une bonne dose d'improvisation, et quelques adaptations qui valent le détour, à l'image de cette reprise en bernois du "Highway To Hell" d'AC/DC. Stephan EICHER s'amuse ici à triturer ses chansons, les pousser dans leurs derniers retranchements, à l'image de "O Ba", cette relecture déconstruite de "Des Hauts, Des Bas", surprenante. L'artiste revisite également ses racines tziganes sur cette version dansante de "Hemmige", présentée en fin d'album.

Décousu sur le papier, le résultat se fait très bien construit. Il y a ce fil conducteur de la vie en tournée, avec ses bonheurs et son ennui, et ce besoin de partage, permanent, avec le public. Un premier album live comme une épopée à travers l'Europe, qui voit Stephan EICHER laisser un large espace d'expression à ses musiciens. Résolument rock sur son premier CD, ce double album nous permet de balayer le large spectre d'influences d'un artiste à l'identité complexe d'un artiste marqué à la fois par les musiques américaines et celles de l'Europe la plus profonde. Une tranche de vie, que l'on partage avec bonheur.