Il y a quelques années, un incendie s'est déclaré dans les bois accrochés aux falaises surplombant mon domicile. Pas le genre de feu à nécessiter l'intervention d'un canadair, mais tout de même, voir ces hautes flammes, à quelques dizaines de mètres des premières habitations, avait de quoi impressionner. La pluie a fait son œuvre, l'incendie fut bien vite circonscrit, mais encore aujourd'hui, en me baladant dans cette forêt éparse, je me retrouve à louvoyer entre de nombreux troncs léchés par les flammes, arborant une écorce noircie, témoignage de ce triste événement. Leo Leoni est l'un d'eux. En 2010, au plus fort de l'incendie que fut le décès brutal du chanteur Steve Lee, le guitariste de GOTTHARD a tenu bon, a fait face aux flammes, a courbé l'échine dans l'insoutenable fournaise qui devait faire bouillir ses entrailles. Et puis, le résilient Suisse a donné de nouvelles pousses, certes fragiles, mais prometteuses, et l'artiste a fait preuve d'une force remarquable qui lui a permis, bien aidé par ses camarades et le nouveau venu Nic Maeder, d'extraire du brasier de nouveaux albums pertinents. Si l'écorce est balafrée, les racines sont toujours intactes.

Pour autant, cela faisait plus de 5 ans que le groupe était réduit au silence. Une inactivité inhabituelle qui trouve, en partie, son explication dans la diversification des activités de Leo Leoni, devenu père deux fois : d'un nouvel album de CORELEONI tout d'abord, puis d'un véritable petit rocker, autant d'événements qui ont eu l'occasion de remplir son emploi du temps. Et puis, le guitariste sentait-il peut-être qu'il était temps de laisser se reposer son groupe de cœur, lui accorder une pause méritée, comme pour renouveler l'envie et le plaisir. De fait, ce quatorzième album de GOTTHARD a bénéficié de cette longue absente. Celui-ci se fait plus "écrit", plus inspiré que les précédentes réalisations du groupe. Sans nous offrir un coup d'éclat ou un chef-d'œuvre, le groupe suisse nous fait ici une proposition artistique fort intéressante, qui fait de ce cinquième album enregistré en compagnie de Nic Maeder le plus réussi et homogène de la période post-Steve Lee.

GOTTHARD reste sur sa méthode d'écriture habituelle, et propose sur Stereo Crush un compromis très satisfaisant entre morceaux hard rock directs et titres plus mélodiques, radio-friendly, l'ensemble étant saupoudré, naturellement, de quelques ballades comme autant de respirations. Charlie Bauerfiend aux manettes aux côtés de Leo Leoni, le groupe propose un son percutant et équilibré, qui met autant en valeur les inévitables interventions de la talk-box que les claviers, utilisés avec plus de mesure que sur le décevant Silver. Si le remplacement du batteur Hena Habegger par Flavio Mezzodi (ex-KROKUS) n'est pas des plus flagrants pour les non-initiés, il y a une volonté de proposer ici une structure solide permettant à la guitare de s'exprimer, sous toutes ses formes. Le reproche souvent fait à Nic Maeder, incapable d'émuler la volubilité de Steve Lee et la richesse mélodique de ses lignes vocales, n'a pas cours ici puisque le chanteur, sans se travestir, offre quelques lignes mémorables qui tirent vers le haut des morceaux le plus souvent très savoureux.

Sans aller chercher le tube, le groupe renoue avec cette efficacité naturelle qui donne à l'introductif "AI And I", plus loin à "Boom Boom" (composé par Leoni après la naissance de son fils) cette saveur très Lipservice, GOTTHARD nous offrant ici de nouvelles preuves de vie de son hard rock tubesque et décomplexé. "Shake Shake", dont le refrain se fait à la fois simple et percutant, précède le plus agressif "Devil in the Moonlight", réminiscence de l'époque Steve Lee qui nous frappe comme une madeleine de Proust. Véritable tube AOR, "Thunder & Lightning" se fait tête de gondole de la facette plus mélodique du groupe. Son introduction, qui reprend presque note pour note celle de "Ticket to Ride" des BEATLES, est une déclaration d'amour de Leo Leoni pour les Fab Four, de même que cette reprise musclée et sympathique de "Drive My Car" qui, après "S.O.S." d'ABBA sur l'album précédent, confirme l'envie de GOTTHARD d'ouvrir ses horizons. Et puis, les BEATLES ne sont pas très loin sur le formidable rock mélodique de "Liverpool", un titre composé en compagnie de Chris Von Rohr, avec qui Leo Leoni n'avait plus travaillé depuis 2001. Porté par un refrain flamboyant, voici un des moments forts de cet album bouillonnant de bonnes idées. Idéalement placée tôt sur l'album, "Rusty Rose" est un mariage entre le meilleur des deux mondes, proposant à la fois ces riffs percutants qui sont les racines du groupe et ces mélodies très accessibles qui en sont le sel.

Ce qu'il manque à cet album ? Une grande ballade, de la trempe de "Remember It's Me", "Feel What I Feel" ou "Only Love Is Real", pour citer uniquement en exemple celles de la période Nic Maeder. "Burning Bridges" et "Life" tentent, essaient de générer une émotion authentique, mais échouent de peu, sans que l'on ne sache réellement expliquer pourquoi. "These are the Days", portée par un harmonica, évoque BON JOVI et nous propose un refrain très convenu, qui la rend superflue. Mais là n'est pas l'essentiel. En effet, avec cet album qui clôture la plus longue période de silence dans la carrière du groupe, les Suisses démontrent une science intacte du riff et de la mélodie, proposent un amalgame souvent délicieux entre les différentes facettes de sa personnalité, et publient ce qui constitue finalement l'album le plus savoureux et homogène publié depuis une année 2010 de triste mémoire. GOTTHARD is "free and alive" !

3,5/5