Dans la grande maison country de Nashville, les voix féminines ont longtemps été reléguées à l’arrière-plan, peinant à se faire entendre. Alors que les radios et médias spécialisés (pour certains très puissants) diffusent en boucle les ritournelles de mâles barbus évoquant le confort de leur pick-up et la force que leur confère leur whisky frappé, un quatuor uniquement féminin décide à la fin de la décennie de changer la donne et de s'accorder à la table. A l'origine du projet, un constat simple, presque désespérant : où sont les femmes dans la country contemporain ? L'idée germe alors de créer un super groupe, dont le nom est un évident clin d'œil au Highwaymen des années 80, ces héros virils que furent Johnny Cash, Willie Nelson, Kris Kristofferson et Waylon Jennings. A l'origine du projet, la chanteuse et violoniste Amanda Shires invite pour la rejoindre Brandi Carlile, fraîche récipiendaire de 3 Grammy Awards pour son album de 2018, Natalie Hemby, parolière de l’ombre mais pilier de Nashville, et Maren Morris, star montante capable de faire le grand écart entre pop et country. Produit par Dave Cobb (un nom devenu incontournable à Nashville et responsable du son du dernier album de Brandi), l’album The Highwomen sort en 2019, porté par une ambition claire : donner aux femmes de la country une voix plurielle et puissante.

L'album est introduit par un geste fort, celui de réécrire le classique "Highwayman" et de le décliner en "Highwomen". Avec la bénédiction de l'auteur original du morceau, Jimmy Webb, Brandi Carlile et Amanda Shires greffent, sur une interprétation musicale fidèle à la version d'origine, des paroles évoquant des destins de femmes sacrifiées pour des croyances ou dans un contexte politique néfaste. L'émotion reste néanmoins en surface, malgré les interprétation successives puis en harmonie des quatre chanteuses, dont les voix s'entremêlent avec subtilité et passion. Sur l'ensemble de l'album, la forme est impeccable, mais le fond peine à dépasser le cadre d’une belle réunion d’artistes. L'album est agréable, maîtrisé, parfois touchant, mais rarement bouleversant. Proposant une country adoucie, polie, sans véritable prise de risque, The Highwomen se fait moins intéressant que les réalisations individuelles de celles qui en constituent l'hydre à quatre têtes. En atteste le lénifiant "Heaven Is a Honky Tonk" qui, malgré la présence de Sheryl Crow, ne provoque guère autre chose qu'un ennui profond.

C’est dans les moments plus intimes que le disque montre ce qu’il aurait pu être. "If She Ever Leaves Me" ose une chanson lesbienne dans un contexte country souvent masculiniste, portée par la voix toujours juste de Brandi Carlile. "Wheels of Laredo", écrite par Brandi pour Sonja Tucker et qu'elle reprend ici à son compte en compagnie des frères Hanseroth, est un autre grand moment de l'album, tandis que "Cocktail and a Song", élégie douce-amère signée Amanda Shires à propos de son père mourant, touche par sa retenue et sa sincérité. Là, l’émotion affleure, et l’album s'envole enfin. Malheureusement, ces instants se font trop rares. Le quatuor maîtrise sont sujet, c'est une évidence, et parvient à s'inscrire avec talent et brio dans ces codes country qui semblent immuables, faisant de "Don't Call Me" un titre percutant qui aurait pu être dignement interprété par Johnny Cash.

Néanmoins, malgré la force symbolique du projet et certains choix acoustiques qui se font savoureux (notamment ce violon délicat sur la ballade "My Only Child"), on ne peut s’empêcher d'avoir le sentiment que le rendez-vous n'est pas ce coup de pied dans la fourmilière tant attendu. Les quatre artistes, chacune brillante dans son parcours individuel, ne semblent pas s’élever ensemble et manquent d'un souffle artistique commun. Ce qui n'a pas empêché l'album d'être largement salué à sa sortie, ce que l'on comprend aisément : dans un milieu aussi conservateur que la musique country, THE HIGHWOMEN a ouvert une brèche. Une réalisation charmante, mais trop timide pour prétendre au statut d’album majeur. Un beau geste, une belle affiche, mais pas une claque.