On arrive à l'instant fatidique, frontière dont la traversée pourrait s'avérer potentiellement funeste pour l'entité concernée.

Ce Rubicon, la mystérieuse meute ULVER le franchira tout de même tel un redoutable César sans peur ni reproche, actant une rupture assez nette avec le passé malgré d'indéniables stigmates encore bien visibles. Ce changement de paradigme ne se fera pas sans douleur auprès de certains puristes, comme le label Century Media mettant brutalement fin au contrat le liant à la formation nordique, cette dernière rebondira immédiatement en montant sa propre structure apte à appuyer une vision neuve.

En 1997, si le féroce Nattens Madrigal semblait sceller l'appartenance d'ULVER à une scène Black Metal norvégienne extrêmement vivace, cela serait oublier bien vite que le groupe avait signalé quasi d'entrée son caractère imprévisible, débranchant l'électricité dès sa seconde offrande Kveldssanger, recueil Dark Folk préféré des vikings lors de leurs longues chevauchées maritimes en drakkar. Quoi de plus idéal alors qu'une oeuvre titrée Le Mariage du Ciel et de l'Enfer pour symboliser ce que le chanteur Kristoffer Rygg nomme second chapitre, alias un quatrième album continuant malgré tout à encore joindre deux mondes ?

La mise au propre de ce disque invoque un nouveau personnage qui complètera admirablement le puzzle ULVER pour la suite des événements : le claviériste et compositeur Tore Ylwizaker. Rygg, qui a mis de côté son alter ego hargneux Garm dans l'objectif d'étoffer sa palette d'une voix claire du plus bel effet récemment éprouvée avec ARCTURUS, profite de son apport afin d'esquisser les grandes lignes de l'adaptation du recueil de poésies de William Blake qui l'a tant marqué au cours d'un voyage à Londres au cours de l'année 1996. Un projet pour le moins casse-gueule lorsqu'on songe à la complexité de cette oeuvre érigeant le choc des contraires comme principe directeur, devenant ainsi vecteur créatif et vital, son auteur pourfendant par la même occasion la raison des Lumières jugée tyrannique, préférant s'en remettre à l'intuition. La partie la plus emblématique de l'ouvrage consiste en de multiples aphorismes stationnant au chapitre cinq, nommés Proverbes de l'Enfer. En France, les bouquins finissaient plutôt en comédies musicales à cette époque-là, une nouvelle épidémie après celle ayant consacré les boys-band.

L'adaptation produit un double album généreux mais déséquilibré : si le premier disque peut sembler un peu long et manquer parfois de continuité, le second s'avère absolument exceptionnel, si ce n'est une ultime piste relativement ennuyeuse conviant pourtant la crème du Black norvégien aux choeurs : Ihsahn et Samoth (EMPEROR) ainsi que Fenriz (DARKTHRONE). Les onze minutes du monumental "A Memorable Fancy, Plates 17-20" symbolisent parfaitement les chemins musicaux inédits que ULVER désire maintenant fouler : Ambient déformé générateur d'inquiétude, électronique industriel, Trip Hop lancinant ne se privant cependant pas de crises de colère se manifestant via un riff cybernétique majuscule. Rygg, s'il demeure quelquefois monocorde ou se cherche encore un peu en se prenant ainsi pour Nick CAVE sur "The Voice of The Devil, Plate 4" ou "Plates 5-6", confirme pleinement ce que Kveldssanger avait ébauché : sa voix est hors du commun, et pas uniquement son côté hurlé. "Plates 21-22" est tout aussi épique, cela dit moins qu'un doublé d’"Intro"s aux allures de paire d'as, l'une instrumentale, aérienne, très rétro (vous avez dit PINK FLOYD ?) quand l'autre charrie aisément dans son sillage le Post Punk psychédélique des CHAMELEONS.

Themes From William Blake's The Marriage of Heaven of Hell recevra d'excellentes critiques, y compris des revues spécialisées Metal, louant autant son ambition que le côté aventureux d'un groupe obéissant finalement parfaitement au principe qui frappa Archimède dans sa baignoire lorsqu'il le lança sur sa platine marbrée. Après s'être profondément immergé au sein d'un opaque fluide Black Metal, ULVER remonta à la surface. L'oxygénation renforcera singulièrement l'originalité de son propos.


3 pour le premier disque, 4,5 pour le second. La livraison complète obtient donc une moyenne de