Le groupe de Hard Rock suédois BACKYARD BABIES avait eu une bonne idée en nommant son album de 2003 Stockholm Syndrome. Il y a dans cette expression l'idée d'être convaincu malgré soi par la musique, d'éprouver une empathie positive pour les morceaux et leurs auteurs, en dépit de tout sens critique, volatilisé. C'est un peu ce que l'on ressent à l'écoute de l'album 2020 de BON JOVI. Par la force de la répétition, de l'envie d'y croire, l'album finit par nous sembler acceptable, presque bon. C'est un leurre, un aveuglement dû à l'admiration naturelle que l'on porte au groupe de Jon BON JOVI et ses camarades, qui nous ont offert, durant leur longue carrière, quelques émois musicaux qui nous aident encore à tenir bon dans ce monde en déliquescence. Mais soyons vigilants, et ne nous laissons pas endormir car 2020 n'est pas vraiment bon.


De camarades, il n'est d'ailleurs aucunement question sur ce visuel qui ressemble plus à une affiche de campagne politique. Jon se présente seul, l'air sérieux, le doigt posé sur la bouche comme s'il s'apprêtait à prendre la parole. Il pose devant un tribunal et le drapeau américain se reflète dans ses lunettes de soleil. Autant de symboles qui nous donnent un avant-goût de la teneur engagée de ce quinzième album, dont la sortie a alors fait l'objet d'un report du mois de mai au mois d'octobre, en raison des difficultés liées à la crise du COVID qui sévit alors.
Son indéboulonnable producteur John Shanks derrière la console, BON JOVI propose ici ce qui ressemble plus à un album solo de son chanteur. Celui-ci signe seul 8 des 10 morceaux de l'album, et a profité des retards dans la production de l'album pour chambouler sa tracklist et y intégrer deux morceaux directement inspirés par la crise sanitaire. Quelques agencements qui n'y changent malheureusement rien : 2020 est un album poussif et laborieux, qui ne tente même plus d'émuler le hard rock d'antan. Jon BON JOVI, déjà en proie à de sérieux problèmes de voix qui le verront subir plusieurs opérations chirurgicales, traîne sa voix grave et un peu cassée comme une âme en peine, se faisant souvent lancinant, parfois même derrière le rythme. Les outils utilisés en studio pour lui redonner un peu d'épaisseur et de vigueur s'entendent trop, comme sur la ballade "American Reckoning" (inspirée par l'assassinat de George Floyd et le mouvement Black Lives Matter), qui souffre de l'usage à outrance d'artifices qui peinent à donner le change : ce brave Jon n'est plus dans le coup. Alors qu'il dispose pourtant d'un large espace d'expression, les guitares de Phil X se faisant bien moins entreprenantes que celles de Richie Sambora, le chanteur nous fait attendre, et l'on se met à espérer l'arrivée d'envolées qui resteront coincées dans sa gorge. Un harmonica tente de donner le change et de combler le vide sur cette ballade hantée, à la Springsteen, mais le mal est fait : malgré tous les artifices de studio, Jon est hors du coup.

L'album ne démarre pourtant pas si mal, proposant avec "Limitless" un titre rock (à défaut d'être hard), porté par une intention positive, un rythme entraînant et des couplets énergiques. Mieux encore, le titre country-rock "Do What You Can", qui lui succède, directement inspiré par l'impact du COVID sur la vie de la population, est doté d'un hook irrésistible qui en fait un des meilleurs moments de cet album. Il y a bien, un peu plus loin, "Beautiful Drug" qui tente d'émuler le hard rock des années passées (évoquant par exemple l'époque Have a Nice Day), ce qu'il n'est pas loin de réussir grâce à un solo entreprenant bien qu'un peu court. Porté par des choeurs légers et entraînants, un refrain simple à la mélodie séduisante et un break post-solo assez original avec ses lignes vocales scandées, ce morceau est une vraie bonne surprise.
Le reste est un long calvaire : seul, comme un grand, Jon propose avec "Story of Love" une ballade acoustique niaise portée par un piano indigent. Si le solo final de Phil X tente de donner le change, la sauce s'étire inutilement en longueur. Comme souvent ces dernières années, l'artiste tente également de sonner à la manière de SPRINGSTEEN, ce qu'il fait sur "Let it Rain", dont l'introduction grandiloquente n'est pas sans rappeler celle de "Born To Run". Mais l'ensemble, forcé et peu naturel, déçoit par son incapacité à insuffler quelque vie que ce soit dans ce titre rapidement oublié. Pas mieux avec "Brothers in Arms", titre rock sudiste assez convenu, et, sur la deuxième moitié, il faut attendre "Blood in the Water" pour découvrir une vraie bonne ballade. Écrite en 2018, évoquant avec justesse le sort injuste des migrants, ce morceau bénéficie d'orchestrations intéressantes et d'un refrain intense qui n'est pas sans rappeler, dans sa construction, l'époque Keep The Faith. Une belle surprise.


En somme, 2020 est le témoignage fatigué d'un artiste qui regarde son époque dans les yeux, sans avoir vraiment les moyens musicaux de la saisir. BON JOVI, à travers son omnipotent leader, y expose ses failles plus qu'il ne les transcende, et s'il reste çà et là des éclairs de sincérité qui rappellent qu'il fut jadis un formidable pourvoyeur d'hymnes fédérateurs, l'ensemble se délite dans un confort routinier. Le disque se veut lucide, mais il peine à émouvoir autrement que par le souvenir de ce que fut le groupe. Un triste constat, mais une réalité tenace : 2020 n'est pas l'écho d'un avenir radieux, plutôt le crépitement d'une flamme qui s'éteint doucement.