Francis CABREL va-t-il nous proposer un jour un nouvel album ? Cinq ans après A l'Aube Revenant, la patience est de mise. Il faut dire que l'artiste n'est pas un homme pressé, et celui-ci évoque, de plus en plus souvent, la possibilité d'une retraite prochaine. Malgré tout, le chanteur n'est pas resté silencieux ces derniers temps. Entre sa relecture de Leonard Cohen ("Suzanne"), son hommage à la ville de Toulouse ("Un Morceau de Sicre") et un morceau intégré dans la BO du film "Pour l'honneur", il semble s'épanouir à sortir de temps en temps de sa tanière afin de proposer des singles à la portée certes limitée, mais souvent publiés pour la bonne cause.

Il en va ainsi d' "Un Gramme de Terre", conçu pour illustrer la bande-son du documentaire "Une Langue en Plus" récemment diffusé sur France Télévision, qui s'attache à évoquer le déclin des langues régionales et le combat de ceux qui s'efforcent à les maintenir en vie. Un combat cher au chanteur, lui qui a présente sur son album In Extremis, à travers le morceau du même nom, comme une résistance la volonté de faire vivre la langue occitane : "On parle tous la même langue / Comme ça on peut suivre l'écho / De la même voix qui rabâche sur la même chaîne d'info".

Répondant à l'invitation de Francis, ce sont ainsi 9 chanteurs qui le rejoignent trois jours durant dans son studio du Boiron, à Astaffort, où il a ses habitudes. Ils sont majoritairement issus des fameuses Rencontres d'Astaffort, chapeautées par le sieur CABREL, qui font de rencontrer et collaborer des artistes en devenir lors d'une résidence de quelques jours. Ces chanteurs ont tous pour particularité de chanter ici dans leur langue régionale (basque, breton, occitan, catalan, créole, corse, alsacien) et d'accompagner l'ex-moustachu sur cette chanson évoquant une petite graine, qui, dans un terreau fertile, arrosée avec amour, grandit et s'écarte pour répandre ses bienfaits. Cette graine, vous pouvez l'appeler "multi-culturalisme". Le chanteur explique : "J’ai trouvé que l’idée de cette petite graine qui s’arrange malgré les difficultés à en produire de nouvelles pour que l’histoire continue, est une belle image pour parler de ces langues qu’on ne veut pas reconnaître mais qui refusent de disparaître grâce à tant de belles initiatives."

La base du morceau est un folk acoustique, porté par une guitare claire , une mandoline, une atmosphère sobre et chaleureuse, à la fois lente et contemplative, qui s'inscrit dans les ambiances distillées par Francis CABREL sur ses réalisations récentes. Les interventions des chanteurs et chanteuses invités apportent des couleurs variées, donnant à l'ensemble une texture polyphonique. Alors que le père de "Petite Marie" garde le chant lead, chaque invité reprend la phrase précédente dans sa langue régionale, pour un rendu somme toute original. Néanmoins, difficile avec cet exercice de respecter les métriques, et l’on sent par moments que la mélodie se plie plus qu’elle ne se marie aux idiomes des uns et des autres. Le résultat a beau se vouloir bigarré, il sonne parfois forcé, comme un patchwork de bonnes intentions, et l’écoute laisse davantage le souvenir d’un collage militant que celui d’une chanson vraiment intéressante.

"Un Gramme de Terre" n’a rien d’un nouveau classique cabrelien. Sans grande portée artistique, son intérêt repose plus sur la démarche qui a motivé son enregistrement que sur la musique en elle-même. CABREL, en bon artisan consciencieux, s’y montre fidèle à son image de troubadour, mais ne nous émeut guère. Il s’agit d’un geste, d’un symbole, d’un caillou posé sur le chemin d’une lutte culturelle qui lui tient à cœur. Le morceau ne bouleverse ni sa discographie ni l’histoire de la chanson française, mais il met en lumière une facette de l’homme : son attachement aux racines, à la transmission, et sa fidélité à un combat qu’il mène depuis longtemps, celui de préserver la diversité linguistique et musicale. Ce morceau qui ne vivra probablement pas plus longtemps que le documentaire qu’il accompagne mais il aura mis en lumière, ne serait-ce que pendant quelques minutes seulement, la grande diversité dialectique de notre pays multi-culturel.