En réalisant deux albums d'exception, PUBLIC ENEMY a mis l'humanité devant un cruel dilemme : « It takes a nation of millions to hold us back » ou « Fear of a Black Planet » ? L'innovation ou l'exploitation ? Le coup de boutoir ou le coup de massue ? La pureté rap ou le métissage funk ? Les historiens retiennent souvent le premier. Les chroniqueurs sur le retour préfèrent le second.

En 1988, « It Takes a Nation of Millions to Hold Us Back » marque l’avènement de nouvelles techniques de production et peut être considéré comme le « Sgt Pepper » du rap. Par l’utilisation intensive et presque scientifique des samples, le genre disposait enfin d’un son à la hauteur de sa rage. Cette révolution était surtout l'œuvre de la BOMB SQUAD, équipe de production qui marquera le son hip-hop des années 80/90 et collaborera étroitement avec le gang de New York.

« Fear of a Black Planet » s’appuie sur cet acquis pour y ajouter une section rythmique proéminente. Les machines ressuscitent le funk des années 70/80 et débitent des grooves au kilomètre. Les beats sont durs et athlétiques, les basses lourdes et profondes. Amateurs de rock, de techno, de jazz ou de métal… nombreux succomberont à sa puissance irrésistible.
La BOMB SQUAD prend en charge toutes les programmations et les samples pour une relecture érudite de la black music. Des METERS à KOOL & THE GANG en passant par les MUSICAL YOUTH, les références pleuvent et ponctuent les discours emphatiques de CHUCK D.

CHUCK D justement, prend ici toute sa dimension de MC. Présence, autorité, tchatche, déclamations virulentes et sens de la formule, mais aussi du message : les noirs américains sont encore traités comme une sous population et préparent la révolution… ça va péter. Ce dont George CLINTON se réjouissait pour Washington, CHUCK le prophétise à grande échelle : PUBLIC ENEMY réunit son état-major et planifie une opération de chocolatisation massive. Depuis l'élection de Barack Obama à la Maison Blanche, « Fear of a Black Planet » prend un sens nouveau et apparaît plus que jamais comme une étape majeure de l’émancipation afro-américaine par la musique, aux cotés de « We Insist ! » de Max ROACH ou « Chocolate City » de PARLIAMENT. Bop, Funk, Rap… mêmes frustrations, même combat.

FLAVOR le joker-horloger enchaîne les répliques qui tuent à une cadence industrielle. TERMINATOR X travaille les platines au scalpel et découpe des scratches d’une précision diabolique. L’invention est constante, les interactions géniales. Enchaînements, gags, jingles, discours politiques et émissions radio sont passés à la moulinette et mitraillés jusqu’à l’indigestion. La BOMB SQUAD tourne à plein régime et fera de ce disque la vitrine de son savoir-faire : giclées électriques, guitares funky, lignes de cuivres, sirènes hurlantes et foules en panique recréent un itinéraire chaotique entre villes en feu et ghettos malfamés. « Fear of a Black Planet » est un disque dense et foisonnant qui reste vingt ans après sa sortie un magistral coup de boule.