Deux ans sont passés depuis le deuxième album des CHIEFTAINS, la formation attire le public de plus en plus. Ce troisième va être l'occasion de savoir si des progrès ont encore été réalisés depuis 2, même si l'on se doute en regardant la tracklist au verso que cela ne sera pas le cas concernant le "corps" de la musique.

En même temps, on n'a pas franchement tort car après deux excellents premiers albums, la recette reste la même par cette volonté de collecter certains des meilleurs airs du répertoire musical irlandais et de mettre souvent sous forme de suites des airs et ou danses plus ou moins de la même nature : un air et un reel, ou trois polkas à la suite... Et c'est toujours l'occasion de découvrir de "nouvelles" danses - dans la discographie et pour l'époque j'entends - comme la mazurka ("Sonny's Mazurka"), la valse ("An Ghaoth Aneas"), le slide (les trois morceaux de la suite finale)... Cependant et c'est ce qui fait en partie la force du travail des CHIEFTAINS, sachant que c'est surtout l'oeuvre de Paddy Moloney, il est toujours intéressant d'essayer de prêter attention à la manière dont les morceaux s'enchaînent, s'imbriquent les uns à la suite des autres. Autre détail, et c'est plus remarquable ici que sur les deux premiers albums, la musique s'arrête parfois brutalement comme la fin des deux reels de la première suite, ou encore celle de la "Tommy Hunt's Jig". Ce qui peut surprendre, surtout avec un arrangement aussi efficace, notamment celui des violons. Un instrument qui, même quand il ne fait qu'une note (la fin de "Strike the Gay Harp"), occupe un rôle de choix dans le spectre sonore.

Et à vrai dire, on peut difficilement passer à côté de l'ensemble de l'arrangement à ce niveau-là. Le groupe a pris parti pour certains titres, soit de faire commencer un morceau par un instrument en solo (la cornemuse sur "Tiarna Maigheo") avant que les autres ne viennent se greffer ensemble dessus, soit que les musiciens apportent leur partie petit à petit, ce qui permet à la mélodie de s'installer progressivement dans la tête de l'auditeur ("Strike the Gay Harp"), ou encore, les instruments jouent tour à tour comme sur la "Sonny's Mazurka" (violons, puis cornemuse, puis instruments à vent globalement) avant de revenir en groupé pour le final. Cela permet de varier un peu le propos et reste tout à fait louable. On notera également les parties de concertina par Michael Tubridy, plus présente qu'à l'accoutumée, ou du moins mieux mise en valeur : entre autres elle introduit le splendide "Eibhli Gheal Chiuin Ni Chearbhaill" (qui fait penser au standard "Eileen-a-Roon"), et se réserve le temps d'une petite valse ("An Ghaoth Aneas") un joli air qui fait penser à à un mélange de "Amazing Grace" et " 'Sé Fa Mo Bhuartha". Les flûtes enfin, hallucinantes de maîtrise sur l'intro du "Tom Billy's Reel".

Mais ce troisième album n'est pas entièrement instrumental, puisque pour la première fois, sur le reel "The Hunter's Purse" (ainsi que quelques morceaux de la suite finale) arrive la première grande nouveauté dans la musique du groupe, en la présence de Pat Kilduff, un lilter, le lilt étant le fait de chanter de manière rythmique, ressemblant ainsi au "puirt-a-beul" (mouth music) écossais, mais sans paroles et en encore plus marqué. Au moment où il intervient, seul le bodhran joue avec lui. Cette participation permet d'élargir quelque peu le champ musical et laisse rêveur quant à l'emploi d'une future "écriture" (paroles,...) possible pour l'avenir.

Pour terminer, citons encore quelques morceaux majeurs de ce troisième album à commencer par "Tiarna Inse Chaoin", une nouvelle valse plutôt enjouée à grand renfort de croches en siciliennes ; "The Trip to Sligo", excellente jig, une des meilleures parmi toutes celles que le groupe a arrangé et qui méritait bien de constituer un morceau à elle seule ; la "March of the King of Laois" qui, pour rester dans les "marches", est encore mieux réalisée que celle de Brian Boru sur le disque précédent. Ici on profite pleinement de cette mélodie d'exception, et les coups sourds données sur le bodhran sont du plus bel effet. La fin se fait en fade-out, comme pour s'opposer encore plus à la brutalité de celles d'autres titres (et notamment des danses). On termine par le hornpipe "Carolan's Concerto", qui nous rappelle que le harpiste aveugle du XVIIème/XVIIIème siècle Turlough O'Carolan était un grand admirateur des compositeurs du mouvement baroque.

On sent encore un progrès avec cet album pour ce qui est de la qualité de la collection de titre, mais on peut dire aussi que certains choix (les fins brutales bien qu'il n'y en ait pas beaucoup, mais aussi la présence du "lilter" qui ne sera pas au goût de tout le monde) peuvent prêter à débattre. Au final on se dit que 3 est peut-être meilleur que 2, mais pas de beaucoup. Laissons passer encore deux petites années...