Ces derniers temps, les vétérans de la Nouvelle Orléans se montrent particulièrement inspirés. Après le magnifique Tribal de Dr.John, Aaron Neville sort le grand jeu avec I Know I’ve Been Changed. Alors que les frères Neville ne se sont pas réunis ensemble en studio depuis 2004, Aaron Neville enregistre régulièrement des disques d’une grande qualité. En 2006, il s’était amusé à reprendre des standards de la soul. En 2010, il met le gospel à l’honneur au cours de douze morceaux étonnants. Il avait déjà consacré deux disques à la musique sacrée en 2000 avec Devotion et en 2003 avec Believe.

Les disques de gospel ne courent pas tellement les rues de nos jours. I Know I’ve been Changed est donc un disque aussi précieux que savoureux. Ceux qui apprécient la soul des années soixante et des groupes comme les Soul Stirrers reconnaissent sûrement certains titres tels « I’m a Pilgrim » ou « Im So Glad ». Aaron Neville habite avec beaucoup de ferveur ce disque. Avec son tatouage en forme de croix sur la joue, il montre au grand jour sa foi qui illumine cet album d’un bout à l'autre.

Plein de vie, varié, lumineux, I Know I’ve Been Changed étonne nos oreilles peu habituées à une telle musique. Les arrangements superbes et délicats mettent en valeur à merveille la voix sensible d’Aaron Neville sur « Stand By Me ». Concentré de blues, de country et de soul, la section rythmique accompagne toute en souplesse le louisianais.

On se laisse enthousiasmer par le tempo endiablé de « Don’t Let Him Ride », la rythmique envoûtante de « I Know I’ve Been Changed », les improvisations subtiles de « Live So God Can Use Me ». Le mot authentique prend alors tout son sens. Les paroles à la gloire du Seigneur ou évoquant des thèmes variés comme la rédemption, la liberté, témoignent de la teneur sacrée qui caractérise ces morceaux. On est loin des préoccupations profanes des chanteurs de blues. Mais les frontières entre le blues et le gospel sont loin d’être hermétiques : Aaron Neville reprend en effet « Tell Me What Kind Of Man Jesus Is », un morceau inscrit au répertoire de Big Bill Broonzy.

En revanche, les chœurs me laissent plus dubitatifs. Trop conventionnels, il leur manque une dimension spirituelle. Plus de sobriété aurait sûrement mis davantage en valeur la remarquable interprétation d’Aaron Neville. Certes, on a tous en tête cette image d’Epinal du chœur extatique qui chante avec ferveur dans les églises noires. Mais Mahalia Jackson, la reine du gospel, n’hésitait pas à chanter seule dans un total dépouillement. Aaron Neville s’inscrit avec brio dans cette veine avec « You’ve Got To Move », « There’s God Somewhere » et « Meetin At The Building ».

I Know I’ve Been Changed est donc un album d’une belle qualité. Aaron Neville revisite de manière touchante ces standards du gospel. Certes, ce disque n’est pas sans défauts, mais il s’écoute très agréablement et permet de se replonger avec passion dans l’univers de ce genre trop souvent ignoré.