C’est un CHOSTAKOVITCH encore pensionnaire du conservatoire de Petrograd qui compose sa Suite pour deux pianos en 1922. Cette œuvre de jeunesse (il n’a que 16 ans) est aujourd’hui rarement jouée, et encore plus rarement enregistrée. Ensemble avec le Premier Trio pour violon, violoncelle et piano, les Danses fantastiques, la Première Sonate pour piano et les Aphorismes, la Suite pour deux pianos est un témoignage du style naissant de CHOSTAKOVITCH, quand le pianiste rivalisait encore avec le compositeur. Malheureusement, depuis sa création en 1925, elle traîne une réputation d’immaturité pas vraiment méritée. Ce que l’on pardonne au CHOSTAKOVITCH vénérable des années 50 et 60 : ses élans naïfs, ses thèmes immédiats, ses excès de tempo, on le supporte mal chez le jeune premier des années 20.

Autre pêché cardinal en ce début 1922, la Suite est une œuvre relativement consensuelle et académique, en tout cas très loin des provocations de PROKOFIEV quand il était lui-même élève au conservatoire de Saint-Pétersbourg, dix ans plus tôt. Le modernisme ici, est un outil comme un autre : CHOSTAKOVITCH navigue habilement entre tradition et innovation, annonçant le style de sa Première Symphonie. Les audaces de la Première Sonate pour piano (1926) et de l’opéra Le Nez (1928) sont encore loin.

Troisième et dernier affront de la Suite pour deux pianos à la postérité, c’est justement le fait que deux pianos se partagent la partition, procédé assez rare. Bien que les modernes français aient signé quelques pièces remarquables pour ce type de duo, ce sont avant tout les deux Suite de RACHMANINOV qui ont inspiré le jeune compositeur. On retrouve, une fois de plus, l’identification qu’opère CHOSTAKOVITCH avec ses aînés : RACHMANINOV est lui-même très jeune (20 ans) quand il compose sa Première Suite, frais émoulu du conservatoire de Moscou.

Et malgré tout, redécouvrir la Suite pour deux piano, c’est plonger dans une musique fraîche et entraînante. L’équilibre entre les deux pianos semble presque miraculeux : les développements alambiqués de l’un s’entrelacent avec les motifs lancinants de l’autre, et ce, sans la moindre fausse note. Le thème principal présent dès l’introduction revient à de nombreuses reprises, un thème évident et robuste, tout sauf immature. Son aura suffit à l’unité de la Suite toute entière, de la finesse du « Prélude » à la vivacité du « Finale ». La « Danse Fantastique » placée avant le « Nocturne », est de facture assez classique, dans la lignée des Trois Danses fantastiques (1922). Seul le « Nocturne », au final, témoigne des limites du jeune CHOSTAKOVITCH ; sa douceur ne résiste pas longtemps à l’ombre du thème principal, et c’est bien dommage.

Composée à la mémoire de son père décédé un mois plus tôt, la Suite pour deux pianos est une œuvre émouvante, sans être triste. CHOSTAKOVITCH la jouait souvent avec sa sœur dans les années 20, comme une sorte d’hommage. Bien loin de la teinte funèbre de sa musique de chambre à venir, le compositeur développe un style plein de vie et de jeunesse, qui culminera sur la Première Symphonie (1925).

Fiche « Suite pour deux pianos »
Opus : 6
Date de composition : 1922
Date de création : 1925 à Moscou
Date d’enregistrement : 1998 par Aglika Genova et Liuben Dimitrov
Références du disque : Dimitri Shostakovich – Complete Works for Piano Duo, CPO, 1999.