En 1984, Robert FRIPP dissout une nouvelle fois KINGCRIMSON, et ce alors que le groupe avait effectué un come-back étonnant de qualité (Discipline) accompagné d'une suite à peu près digne de son pedigree (Three of a Perfect Pair et dans une moindre mesure Beat). Après avoir signé un dernier disque avec Andy Summers, FRIPP n'allait évidemment pas rester les bras croisés. C'est alors que, surprise, dix ans après s'être remis à la place de l'élève, le guitariste anglais se mute désormais en professeur, désireux de transmettre son savoir de la six-cordes. C'est ainsi qu'en 1986 furent fondées les Guitar Crafts, des cours axés sur le jeu de guitare, mais aussi le travail sur soi, et mettant en lumière le New Standard Tuning, une méthode alternative pour la six-cordes.

Pendant 25 ans, les Guitar Crafts ont permis à des centaines de guitaristes de découvrir de nouveaux horizons musicaux, ou plus couramment de bien s'exercer. Et fort heureusement, il existe quelques albums qui permettent au public d'évaluer les sommes de talents mises en place, et dirigées par Robert FRIPP himself. A ce propos, c'est en 1986 précisément que sort le premier album conçu par Robert FRIPP et ses ouailles, rassemblés sous la dénomination The League of Crafty Guitarists. La nature de ce disque apparaît dès son titre, à savoir Live!. Encore qu'en l'écoutant, il y a de quoi douter, puisque le public censé assister à la prestation des musiciens ne se manifeste qu'à la toute fin – encore que ce n'est pas l'élément le plus perturbant, loin s'en faut.

Musicalement, Live! est une transcription de l'union de 18 guitaristes (dont un certain Trey Gunn) qui se placent sous la bannière de la guitare acoustique. Doit-on craindre de facto une logorrhée longue et pénible ? Pour être franc, Live! n'est pas un album accessible pour tout le monde, et en particulier quiconque n'aime pas entendre des musiciens s'écoutant, ou semblant s'écouter, jouer. D'un autre côté, ce serait rater bien des choses que de refuser de jeter une oreille par ici. Bien que l'atmosphère soit un poil académique et concentrée, elle n'empêche pas de prendre du plaisir d'écoute en tant que simple musicophile. Les boucles développées sont prenantes et plaisantes, chaque musicien participe et laisse son talent fusionner avec celui des autres, pour une oeuvre collective appréciable. Dommage que le monument s'effrite un peu quand on le regarde de plus près : certains morceaux, pris isolément, se révèlent au mieux sympas sans plus, au pire décevants, en tout cas possédant de quoi lasser (les deux "All or Nothing", le minimaliste "Circulation"). Quant à la conclusion, "Crafty March", elle paraît bien piteuse en comparaison de tout ce qui la précède, notamment les trois "Guitar Craft Theme". Ces derniers, en plus de constituer un charpente musicale, n'ont aucun problème à se placer comme les meilleurs de Live!. Enfin, FRIPP oblige, Live! se dote d'un morceau dédié aux Frippertronics, "The New World". Assez intéressant, mais un peu hors sujet ici.

Pris de manière générale, Live! est donc un album remarquable, et peut s'écouter comme un compte-rendu musical – après tout, c'est un album live, n'est-ce pas. Certaines circonvolutions un peu vaines, ainsi que le caractère daté de l'album, le desservent, mais pas assez pour le rendre anecdotique. En résumé, rien de repoussant pour qui goûte aux joies de la guitare acoustique. Et des boucles à la FRIPP.