Après deux albums de punk brouillon virant vers le hardcore, les REPLACEMENTS se sont lassés de leur errements aux marges de la scène underground américaine. Le groupe ne s'est jamais vraiment senti à sa place parmi les autres formations du milieu, et ce troisième disque sera l'occasion d'évoluer. Paul Westerberg, chanteur et songwriter principal du groupe, abandonne les codes du punk où il se sent à l'étroit et décide de travailler leurs compositions, plutôt que d'enregistrer tout ce qui leur passe par la tête comme cela avait pu être le cas auparavant.

Le disque précédent, Hootenanny, laissait déjà entrevoir une évolution vers un rock plus construit, plus « mainstream ». Entre-temps, Westerberg a pris de l'assurance et se révèle être un songwriter et vocaliste talentueux, passant sans problème d'un brûlot post-punk (« We're Comin' Out ») à une ballade très « Chicago blues » (« Sixteen Blue »). Sa voix rauque et puissante est parfaitement adaptée au rock des REPLACEMENTS, qui oscille entre des racines punk et des influences arena rock.

L'album démarre en force avec son unique single, « I Will Dare ». Le passé punk apporte la section rythmique nerveuse et parfaitement huilée ainsi que le format plutôt court des chansons, tandis que la mutation du groupe est apparente dans la mélodie du chant et le refrain très accrocheur. Le reste des titres s'enchaîne sans temps mort ni baisse d'énergie. Conséquence de leur évolution, l'album possède une richesse et une diversité jusque-là inexistantes dans la discographie du groupe : ballades blues, rock alternatif et même une chanson au piano qui vient apporter une variété bienvenue.

L'insatisfaction, le mal-être et le sentiment de ne pas être à sa place sont des thèmes qui reviennent tout au long de l'album. Les textes de Westerberg sonnent très juste lorsqu'il évoque le malaise adolescent avec « Sixteen Blue » ou défend les travestis dans « Androgynous ». Le sommet du disque est atteint avec « Unsatisfied », véritable ode au mécontentement d'une puissance irrésistible. L'énergie et la franchise qui animent la musique des REPLACEMENTS, associées au talent de compositeur de Westerberg, élèvent le groupe au-dessus de la masse des formations alternatives. Le son assez brut de l'album contribue également à lui donner ce côté très franc et direct, la production ayant en effet été laissée essentiellement au bon soin du groupe.

Le titre du disque n'a bien entendu pas été choisi par hasard. Après avoir envisagé l'ironique « Let It Bleed », le groupe s'est finalement décidé pour un « Let It Be » provocateur. Le message est clair : les Beatles c'est sympa, mais ça reste juste un bon groupe de rock, pas de quoi en faire tout un plat. Leur temps est passé et la relève est là. Assez approprié pour des gars qui ont choisi le nom de « remplaçants »… Se mesurer à la légende que sont les quatre garçons de Liverpool n'est pas une aventure sans risque, mais le groupe de Westerberg s'en tire brillamment. Le projet aurait pu échouer par péché d’orgueil, heureusement les REPLACEMENTS ne se prennent pas trop au sérieux, en témoignent leurs chansons parsemées d'humour (« Gary's Got A Boner », tout est dit).

Les REPLACEMENTS ont réussi le pari d'apporter un aspect mélodique qui manquait à leur rock, sans pour autant perdre l'énergie communicative des débuts. Leur « Let It Be » est devenu un classique du rock alternatif qui a traversé les décennies sans prendre une ride. Le sommet de la carrière du groupe, et une galette qui a dû influencer plus d'un apprenti rockeur.