On est en 1970, BINTANGS a mis en boite son premier album l’année précédente après neuf années d’existence. Pendant des lustres, la formation batave se contentait de se produire en public et basta ! Cela semblait suffire à leur bonheur et à celui de leurs fans ou des simples amateurs de musique. Si vous êtes un lecteur assidu, vous aurez remarqué que l’expression « Battre le fer tant qu’il est chaud » revient souvent. En clair, il faut être réactif, attentionné aux besoins de l’auditeur et plus généralement du consommateur, donc vendre et ramasser du fric là où on peut s’en faire. Ce constat n’est pas si exagéré qu’il y parait, surtout de nos jours ou l’artistique, la création et le talent musical passent au second plan. Faut faire du fric, être rentable !

On peut raisonnablement penser que certaines maisons de disques faisaient de cet adage un précepte ou une maxime dès le début des années 60. Decca Hollande ne va pas trop résister à cette obsession de faire du fric à tout prix. A peine le premier album des BINTANGS digéré, la firme décide qu’il faut en refaire un autre pour garnir les bacs des disquaires. Après tout, le petit groupe a bien vendu son premier album à la surprise générale. Chez Decca on se dépêche donc d’expédier nos quatre hollandais en studio. Il y a seulement quelques petits problèmes: nos quatre hollandais sont désormais six et deux d’entre eux (les frangins Kraayeveld, les fondateurs) ont envie de voir d’autres univers, ils ne sont pas là pour faire gagner du pognon à une industrie qui les a si longtemps ignoré. Autre problème, si ce groupe de scène s’est longtemps cantonné dans l’Indo Rock (d’ailleurs BINTANGS en malais signifie Etoiles) avant de passer au Chicago Blues, les différents membres veulent évoluer vers un répertoire plus tendance, le Blues Psyché. Dernier problème, les deux frangins ont en tête un autre projet avec Circus Kraayeveld. Toujours est-il que BINTANGS retourne en studio. Le groupe a apporté dans ses valises deux ou trois chansons datant de l’année précédente et de nouvelles compositions. Celles-ci permettront quelques 46 ans plus tard de percevoir l’évolution.

Le titre « Travelling In The U.S.A. » n’est pas anodin, il indique clairement les intentions du groupe, un virage à 90° vers le répertoire US du moment. L’album se divise en plusieurs parties : on retrouve du Blues Rock Psy avec flûte, instrument mis à la mode par JETHRO TULL, « Travelling In The U.S.A » et « Rock It Little Bastard » (un titre élégant n’est ce pas ?). Du Blues Psy avec « In The Past » et « He Didn’t Wanna Go Home » avec un solo de gratte déjanté. La formation surprend avec « I’m Gonna Let You Down » un folk instrumental qui se termine en rock stonien. Nos hollandais font décidemment fi des étiquettes, « Agnes Grey » débute sous des airs de Country Blues à l’harmonica pour se finir en Folkabilly Psy complètement décalé.

Six compositions qui annoncent le changement de cap entrepris par le groupe. Nos hollandais se livrent aussi au jeu de la reprise en deux occasions, et autant dire qu’ils se les réapproprient carrément. Il fallait être burné en 1969 pour reprendre « Is A Blue Bird Blue », une chanson guimauve de Dan Penn mise en boîte pour la MGM sans le moindre succès. Le père Conway TWITTY, bien malin, réenregistrera le morceau en 1960 pour le label Regency, croyant tenir un tube, malheureusement le single de Twitty allait connaitre un flop monumental. Il faut dire que le gars avait confondu Rock et Soupe ! BINTANGS va transformer cette soupe sans saveur et sans sel en un Heavy Blues de première bourre.

Seconde et dernière bonne pioche avec « Ridin’ On The L&N ». Là encore, on ignore comment et où nos hollandais sont allés déterrer cette pépite. Cette chanson composée en 1946 par Lionel HAMPTON et le pianiste Dan Burley sous forme de jazz boogie apparaitra en 1953 sur le premier 33 du jazzman. La chanson évoquait la L& N, une petite ligne de chemin de fer reliant Louisville (Kentucky) à Nashville dans le Tennessee qui aura résisté à la Guerre Civile et à la Grande Dépression. Elle sera absorbée en 1970 par l’Amtrak, une grosse compagnie toujours existante. On peut penser que les hollandais sont tombés sur un article économique relatant le rachat. Finalement la vie n’a pas trop changé, les Gros bouffent toujours les Petits. Quoiqu’il en soit, les Bintangs vont transformer ce sympathique air Jazzy old time en une véritable tuerie de Heavy Blues dans lequel la flûte, l’harmonica, les guitares (en fuzzing et en riff) et la basse groovy s’entremêlent pour le meilleur. Ce titre sera repris en 1979 par DR. FEELGOOD dans une version moins appétissante et par NINE BELOW ZERO dans un Pub Rock dévastateur. A noter que John MAYALL reprend souvent le morceau en concert.

Travelling In The U.S.A. connaitra un bon succès en Europe (sauf chez nous), Decca en profitant pour presser trois singles dont trois chansons issues du 33 tours. « Ridin’ On The L & N » grimpera sur la 10ème marche des classements européens, « Travelling In The USA » sur la 11ème et « He Didn’t Wanna Go Home » se classera 29ème. L’album a été réédité en CD en 2014 par Decca avec la pochette originale. En 1998, Rotation, une filiale de Polygram, avait réédité une compilation regroupant les deux premiers albums de Bintangs sous le titre Travelling In The U.S.A. quelque peu trompeur.