Bien, si vous n'êtes pas encore habitué à la musique de MOONDOG, inutile de vous dire qu'on ne change pas une méthode qui marche -Traduisez, qui va devenir légendaire -. En effet, notre compositeur des rues n'est pas prêt de faire la nique à Franck SINATRA ou Elvis PRESLEY en ces mid fifties qui voient l'explosion du rock'n'roll. Totalement atypique, imperturbable et incorruptible, notre homme continue son odyssée personnelle dans les rues de la grosse pomme où sa réputation commence à faire des fans. Il est fréquent que les gens s'accumulent devant lui alors qu'il fait des variations sur sa trimba ou son Oo, quand ce ne sont pas les cadors du jazz qui le rejoignent pour des boeufs impromptus. Nous voici face à son troisième album.

La "Tugboat tocccata" est un des sommets de cet opus. Bien sûr, le son date des fifties, bien sûr, les maniaques de la production vont nous tomber dessus telle la vérole sur le bas clergé breton. Ok... Mais cette toccata dramatique toute en devers risque fort de provoquer une certaine addiction chez vous. Si si, une puissance incroyable s'en dégage. MOONDOG utilise son piano presque comme une percussion avec une énergie invraisemblable. Cependant, le titre de bravoure de cet album est sans conteste "Fiesta piano solo" qu'on retrouvera dans des jingles ou au détour d'une publicité. Il y a de la Bossa nova dans cette pièce savoureuse qui exprime à merveille toute l'espièglerie de l'artiste.

Les bois présents sur "Autumn" sont une invitation à la promenade champêtre où les percussions achèvent de nous transporter au Japon avec une certaine grâce. Il y a de la prestance dans cette composition. L'exotisme continue avec l'introductif instrumental où on entend ce qui ressemble à un didgeriddoo, en fait une corne à bambou. Le Oo retentit aussi rapidement : les "Oo solo" sont d'ailleurs plus agréables que sur l'album précédent. On sait l'importance qu'aura eu son ami Sam Ulano en lui ramenant des instruments du pays du soleil levant, de même que celle de son épouse Suzuka. Même le "sextet" se laisse apprécier.

Nous avons beaucoup d'instrumentaux à base de percussions, la trimba est omniprésente. Le chant amérindien de MOONDOG sur "Chant" est un témoignage de la reconnaissance du jeune Louis Hardin à ceux qui lui ont ouvert l'esprit aux percussions alors qu'il était encore tout jeune. Le hautbois presque hystérique sur le canon "Oboe round" donne un résultat qui lorgne vers le strident mais reste d'une modernité totale, même si les percussions lui donnent une identité presque world. Nous avons aussi une version de "All is loneliness" toute en canon où plusieurs MOONDOG se donnent la réplique avec une belle efficacité.

Le "Moondog monologue" est un poême mis en musique par l'artiste. C'est ici qu'il dit "Death when you'll come to me come quickly, I don't wanna linger" - Une supplique pour ne pas agoniser -. Plus loin, il explique qu'il ne "s'habille pas comme ça pour attirer l'attention mais qu'il attire l'attention car il s'habille comme ça". Bref, une longue profession de foi qui fait son effet. Sa voix est douce mais ténébreuse, claire mais impérieuse. On sent clairement toute la volonté de vivre qui l'anime.

Moondog continue donc son bonhomme de chemin au grès de ses rencontres.Voilà un homme qui ne vit que par et pour son art et sa cécité ne fait que renforcer l'impression de solitude qui se dégage de lui comme il le dit sur "All is loneliness". L'artiste paraît cependant aussi incorruptible que dégagé des contingences matérielles. Ses conditions de vie extrêmes paraîtraient aujourd'hui inconcevables à la plupart des gens. Cet homme qui se tenait droit comme la justice au milieu des rues de New York quelle que soit la saison composait alors que les bruits de la ville et les gens circulaient autour de lui. Il n'y a pas d'autre exemple d'un tel comportement. Le révélateur d'une personnalité hors-normes.