Nom de Groupe STRETCH - Nom du disque « Elastique », on espère que vous appréciez l’humour anglais. Chez nous, un groupe avec un tel blaze et un tel intitulé de premier album serait certainement passé à la trappe. Sauf que le groupe anglais n’a jamais été aussi sérieux pour baptiser son premier bébé. Dave Terry (alias Elmer Gantry) expliquait à la sortie du disque que le répertoire du groupe, un véritable kaléidoscope musical, était tellement éclectique que le titre Elastique s’était imposé de lui-même.
De l’humour et un petit grain de folie, il n’en manque pourtant pas. Guitariste, harmoniciste et chanteur des Five Proud Walkers, un petit quintet spécialisé dans la Soul Blues au milieu des sixties, le groupe transforme son nom en Elmer Gantry’s Velvet Opera. Les influences Soul et Blues du groupe seront bientôt gommées au profit de tendances Psyché. D’ailleurs, Dave a mis son nez dans la nouvelle de Sinclair Lewis « Elmer Gantry »* dont il prend le pseudonyme. En peu de temps, le jeune musicien blondinet qui avait tout du parfait futur gendre se transforme en bon petit allumé. Il faut le voir sur scène avec sa cape noire et son chapeau de prédicateur. Bien évidemment, les différentes influences des membres du groupe conduiront à des dissensions et notre Elmer Gantry devra quitter le groupe. Il se produira alors dans la comédie musicale « Hair ».

Début 74, Elmer Gantry rencontre Graham "Kirby" Gregory, un autre guitariste à contre-courant. Ancien membre de CURVED AIR, Kirby est à la recherche d’un nouveau groupe. La rencontre tombe à pic. Les 2 musiciens sont aussitôt rejoints par le bassiste Steve Emery. Kirby et Emery avaient quitté leur Berkshire natal pour faire carrière dans la musique alors qu’ils avaient à peine 16 ans. Le trio tourne alors dans le giron de Clifford Davis, manager de FLEETWOOD MAC. A l’instigation de Davis qui doit honorer un contrat, les trois énergumènes participent à une tournée américaine sous le nom, mais le public et les journalistes découvriront vite le subterfuge. Le batteur Mick Fleetwood et Christine McVie non présents sur scène contribuèrent à amener les premiers soupçons.

Cette expérience aurait pu se révéler traumatisante mais débouche sur la fondation de STRETCH. Lors de leur pérégrination chez l’Oncle Sam, les trois Anglais ont joué en compagnie de Paul Martinez, un autre bassiste ancien membre de Dowliner Sect et Paice Ashton and Lord. Les quatre larrons seront rejoints par le batteur Jim Russell (futur INMATES). Eh oui, il arrive que certaines mésaventures aboutissent à de beaux contes de fée. Excellent ingénieur du son, Martin Rushent a produit CURVED AIR, il connaît donc bien Kirby qui lui présente son groupe. Le producteur décide de se lancer dans l’aventure et leur décroche un contrat avec Anchor Records, un nouveau petit label qui bénéficie de l’appui d’ABC aux Etats-Unis. Rushent vient de monter son propre studio chez lui à Henley-On-Thames. Le groupe s’est rôdé pendant six mois sur les scènes du Sud du pays et semble avoir tout fracassé sur son passage. Tout est réuni pour pondre un premier bon disque. Sauf que les choses ne se passent jamais comme prévu. Paul Martinez est viré au bout d’une session pour incompatibilité d’humeur, mais Steve Emery est toujours présent.

Le groupe ne pouvait pas trouver un titre illustrant mieux l’album. STRETCH propose un véritable patchwork sonore. "Miss Dizzy" diffuse une combinaison entre ballade et Folk Rock tendance Psyché. Mais c’est bel et bien dans le registre du Rock tendance Hard que le groupe papillonne : "Miss Jones", le curieux Glam Rock "Snakes Alive" pas si éloigné des SWEETS, "Tomorrow’s Another Day" un Hard old school bien représentatif de la première partie des 70's, l’ambigu "Navy Blues" gorgé d’humour noir oscille entre Hard et Heavy Blues, on ne fait pas dans la dentelle. Cependant, nos Anglais ne se contentent pas d'asséner de gros riffs. Hormis les quatre compo précitées, la formation parsème son répertoire de titres fortement nuancés. "Write Me A Note" s’avère une belle ballade acoustique, à la limite d’un Folk Bluesy proche de Rod STEWART. "Down Home" avec un bon passage d’harmonica est un Country Rock, tandis que l’étonnant "Buzz Fly" avec son intro de guimbarde fait office de honkin’ raw blues, un morceau à mi chemin entre l’appalachien "Cotton Eyed Joe", le folk écossais "General Burgoyne’s March" et le répertoire déjanté d’Hasil Adkins. Le disque se clôt avec "Slip Away", un mid tempo quasi Prog Rock.

Tout ceci est bien sympa, mais il n’y a pas vraiment de quoi sauter au plafond, non ? STRETCH est un groupe honnête comme il en existe toute une flopée dans les mid 70's. Un groupe éclectique ne sachant peut-être pas sur quel pied danser et dont le kaléidoscope sonore se perd parfois un peu en route. Bref, Elastique demeure un disque bien caractéristique de ce qu’on nous proposait à cette période, sauf que la formation va se faire connaître avec l’un de ses rares succès "Why Did You Do It". La chanson sortie préalablement en single intègre les charts européens dès sa sortie en novembre 75. Avec son intro acoustique, "Why Did You Do It ?" diffuse un beat incroyable, une basse aussi ronde que groovy, un vocal très grave qui n’est pas sans évoquer celui de Barry WHITE, un texte que ne renierait pas DYLAN et dans lequel Elmer Gantry dévoile un état d'esprit revanchard suite à l'épisode FLEETWOOD MAC. Sans oublier l’apport d’une section cuivre venant rehausser l’ampleur de la guitare. En clair, le morceau de Funk blanc de la décennie capable de passer aussi bien dans les discothèques que dans les circuits Rock et Biker. Une tuerie imparable au groove incandescent dont le chorus aura marqué l’inconscient collectif. Souvenez-vous: "Why did you do it? – Why did you do that thing to me? – The only one who knows the truth – Man it’s him and you …" suivi du break vocal One Two.

"Why Did You Do It?" connaîtra quelques tristes relectures: SAM & DAVE en délivreront une version ampoulée de violons qui perd tout son charme, idem pour Madrock ou l’italienne Mina Agossi. Quand un titre frise la perfection, la relecture s’avère généralement suicidaire. Seule l’excellente chanteuse sud africaine Margaret Singana sera capable de reprendre la chanson sur l’album Tribal Fence en 77. En 2012, le disc-jockey Ferry Ultra reprenait le titre avec Ashley Slater dans une version electro remix dance rendant hommage à ce groupe aujourd’hui oublié. Le groupe s’est reformé en 2015 avec Elmer Gantry, Kirby et Steve Emery et a donné de sporadiques concerts. Un disque est en préparation. L’excellence et le groove de leur chanson phare aurait pu permettre au disque de récolter un bon 4, la note sera ramenée à 3, un disque ne se résumant pas à une seule chanson. Si STRETCH ne connaîtra par la suite qu’un succès d’estime, le groupe demeure le créateur du meilleur hit funk blanc de la décennie 70.


*Le roman "Elmer Gantry" a fait l’objet d’un film réalisé en 1960 par Richard Brooks avec Burt Lancaster et Jean Simmons sous le titre "Elmer Gantry le Charlatan". On retrouvera le chanteur guitariste Elmer Gantry au sein d’ALAN PARSONS PROJECT. Kirby Gregory apparaîtra sur des albums de THIN LIZZY, Joan Armatrading, CRAZY HORSE. Le batteur Jim Russell enregistrera pour Ian Matthews, Bob GELDOF, The HUMAN LEAGUE, XTC et The INMATES.