Le premier album de SUEDE est sorti en même temps que celui du retour de BOWIE en 1993. En écoutant successivement les deux productions, je m'étais dit que les Anglais faisaient précisément la musique que j'aurais aimé entendre de Bowie à ce moment-là, plutôt que cet affreux Black Tie White Noise. La voix un peu nasillarde de Brett Anderson et le style subtil de la guitare de Bernard Butler tout en fluidité, rappelaient tellement la période la plus mythique de David (il ne manquait finalement à Brett que le maquillage 'éclair') que cela avait émoustillé les deux poids lourds de la presse musicale anglaise. Étonnamment, le nom 'Suede' n'existe pas aux States où le groupe est uniquement connu en tant que 'The London Suede', pour une histoire de droits déjà pris. Par miracle, les Ricains échapperont l'année suivante à 'The Madchester Oasis'.

Cet éponyme compte une qualité fort rare au sein d'une discothèque : il ne s'use pas. Je dois allègrement dépasser le cap des cinquante écoutes et l'émotion reste quasiment intacte depuis le premier jour, un peu comme pour Misplaced Childhood de MARILLION. L'absence de réel tube à l'échelle 'mondiale' est compensée par le fait que l'album ne montre aucune faiblesse. Il est gravé dans mon cerveau comme sur un disque dur et je me surprends, à chaque fin de morceau, à fredonner le début du suivant avant même qu'il ne commence.

Pourtant, mes favoris ne sont pas spécialement les singles, mais le premier et l'avant-dernier titre. Toujours cette envie irrépressible sur "So Young", de gueuler avec Brett 'Letsse tchesse ze dragonne oooho', et toute la fin de "Animal Lover" - le chef d'oeuvre caché du disque - me fait invariablement finir en transe comme si j'étais avec eux en plein concert. A leur place, j'aurais fini là-dessus plutôt qu'avec "The Next Life", plus convenu. "Animal Nitrate" me semble le plus fort des trois singles, un poil devant "Metal Mickey". Brett en avait fait des caisses avec "The Drowners", se mesurant en termes de prétention au spécialiste Ian McCULLOCH (avant que les deux chanteurs ne se fassent aplatir par une certaine fratrie mancunienne), le titre ne surpasse pourtant pas les autres.

Et puis, il y a toutes ces compos qu'on appelle en jargon 'musicos' des morceaux 'd'album', pour dire poliment que l'accessibilité ne trouvera pas la masse, même en cas de 'tuerie' avérée. Tout ici n'est qu'élégance mélodique et arrangements bien ficelés, rien à jeter.

Bilan : TRIPPANT (5) : "Animal Lover". DELECTABLE (4,5) : "So Young", "Animal Nitrate". SEDUISANT (4) : "She's Not Dead", "Moving", "Pantomime Horse", "The Drowners", "Sleeping Pills", "Breakdown", "Metal Mickey". PLAISANT (3,5) : "The Next Life". Ressenti 17,08 / 20.

Peu étonnant que le NME et Melody Maker aient jeté leur dévolu sur ce classieux disque, l'un des plus brillants des années 90's. Hélas pour SUEDE, l'attente suscitée par l'arrivée du second album va progressivement laisser la place à la nouvelle marotte des journalistes, la gué-guerre BLUR-OASIS, mais c'est une autre histoire...