Insatisfait de la direction de plus en plus informatique que fait prendre Gérard Hourbette au groupe ART ZOYD, Thierry ZABOÏTZEFF décide de quitter ce dernier, en bons termes. La même année, sort son troisième album solo, Heartbeat. Si sa conception est sans aucun doute antérieure au départ de Thierry (l’album Häxan ayant été enregistré en 1996-97) et si son style musical est forcément largement hérité de son expérience chez ART ZOYD, il s’agit de toute évidence d’un nouveau départ. Prométhée (1984) était une digression, où Thierry ZABOÏTZEFF saisissait l’occasion du travail scénique pour travailler avec de nouveaux instruments et de nouvelles structures musicales. Dr. Zab & His Robotic Strings Orchestra (1992) était une œuvre personnelle donnant une assez bonne idée d’une œuvre d’ART ZOYD exclusivement composée par Thierry. Heartbeat n’est donc pas son premier travail solo pour la scène, néanmoins sa nouvelle collaboration avec la metteuse en scène autrichienne Editta Braun occasionne des procédés inédits, ou à tout le moins seulement ébauchés jusque là. Hearbeat est une œuvre extrêmement riche en contrastes.

Originaux / reprises. Thierry ZABOÏTZEFF incorpore à son nouveau projet un extrait de la suite en cinq mouvements Lieutenant Kijé (Op. 60) du compositeur classique russe Sergei PROKOFIEV (1891-1953) ainsi que "See Me, Feel Me, Touch Me, Hear Me", chanson finale de l’opéra rock Tommy (1969) des WHO. Citons également "Clear Light" qui est une version pleinement revisitée du thème en canon "Don Juan: La Sainte Famille" (1987), issu d’une bande-son de pièce de théâtre et trouvable sur la compilation Archives II (1989), et en guise de final "Ever More", l’une des huit compositions que Thierry a livrées à Valentine PETIT (fille de Roland Petit – le metteur en scène ayant travaillé avec ART ZOYD sur le ballet Le Mariage Du Ciel Et De L’Enfer – et Zizi Jeanmaire) pour son album Étreintes (1990) (la neuvième étant l’œuvre de Gérard Hourbette), dont il a gardé l’instrumentation originale, avec une toute nouvelle interprétation vocale, plus dramatique, en duo avec Editta Braun, à une octave d’intervalle.

Ancien / nouveau. Au-dejà des reprises, Thierry ZABOÏTZEFF opère ici un changement dans la continuité: proposer de la nouveauté sans totalement rompre avec un quart de siècle de musique avec ART ZOYD. "Heartbeat" (présent en deux versions, live et studio) est un véritable stroboscope musical, du thème harmonique à cordes (typique de la période 96-97 d’ART ZOYD) à un passage rythmé moderne de style trip-hop, totalement inédit, en passant par les guitares. Ce morceau est également caractérisé par des doublements mélodiques surprenants, le sample de voix servant de base à la mélodie et doublé tantôt par la guitare électrique, tantôt par Thierry ZABOÏTZEFF lui-même qui s’adonne à un duo vocal virtuel, procédé renouvelé sur "In Grace". La reprise des WHO est splendide et émouvante avec ces harmonies zoydiennes, à la manière de la "Marche" qui clôt l’album Häxan. "Léger Comme Le Vent" est une plage plutôt ambiante qui préfigure l’intimiste Nebensonnen (2000). "Komba" est à l’inverse dans la lignée des passages les plus rythmés des albums de 1989-92 et m’évoque également, à titre personnel, "Rondo A La Terror" (1982) du Hongrois Gabor PRESSER (leader de LOCOMOTIV GT).

Électronique / électrique / acoustique. Si on retrouve certaines sonorités exposées chez ART ZOYD (sur "Clear Light" donc, mais aussi sur la brève "Introduction" qui développe une atmosphère brumeuse et sombre à la Nosferatu), elles se fondent tout naturellement avec les nouveaux éléments: guitares, chant et percussions, samplés ou non, autant d’éléments que jamais nous n’avions entendus dans de telles proportions jusque là chez ART ZOYD ou chez Thierry ZABOÏTZEFF en solo. En plus des instrumentations électroniques s’étant imposées comme un trope de la sphère ART ZOYD, les guitares font un retour en force. Elles étaient bien présentes jusqu’à Génération Sans Futur (1980). On les retrouve sur cet album avec une grande variété de registres, parfois au sein d’un même morceau ("Heartbeat", "Russia", "Clear Light"). Le chant est également à l’honneur, là aussi sous des formes très diversifiées, au travers de samples bien sûr (à commencer par les chants pygmées), mais l’on entend successivement Thierry ZABOÏTZEFF et Editta Braun derrière le micro, à de nombreuses reprises. Il y a évidemment la saisissante interprétation de "Ever More" citée plus haut, mais aussi la voix parlée d’Editta sur "La Voix Du Lac" et "Nicht an Meinen Lippen Suche Deinen Mund", le chant clair de Thierry ZABOÏTZEFF sur "Heartbeat", "Russia", "See Me, Feel Me, Touch Me, Hear Me" et "Clear Light" – il est plutôt rare de l’entendre chanter ainsi, cf. "Häxan Psi" (1997).

Un excellent album, particulièrement réjouissant quand on voit la prolifique suite des événements.