Yves MONTAND revient pour le deuxième disque et d’un Paris populaire et tendre, il se tourne vers une France plus large, plus grave et lucide. Moins ancré dans les quartiers que dans l’histoire collective, ce disque montre un MONTAND plus grave, plus nu et engagé. C’est toujours de la chanson française, bien sûr. Toujours la poésie, la valse, le swing.

Le ton est donné avec "Le Dormeur De Val". Le poème d’Arthur Rimbaud, mis en musique de façon épurée, par un arrangement musical qui n’apporte pas grand-chose à la chanson, est ici dit plus que chanté. Il murmure les vers, les étire, les fait vivre au creux de sa voix. Juste une voix qui donne toute sa force à un texte vieux de presque un siècle. C’est une déchirure tranquille. Tout est sobre, retenu, une légère sensation de musique cinématographique grâce à des lignes mélodiques inachevées et des sonorités qui tiennent en haleine. Un écho plus direct à l’engagement revient un peu plus loin avec "Quand Un Soldat". Cette chanson, écrite par Francis Lemarque, avait été interdite à la radio à sa sortie – trop antimilitariste pour l’époque. MONTAND en livre une version sans colère, une voix claire, sûre d’elle et emplie de compassion. Il raconte, sur un rythme binaire où l’on entend le tempo d’une marche militaire des tambours. Le piano apporte la légèreté.

L’on bascule vers une valse agréable grâce à la chanson "Le Galérien". C’est l’accordéon et les cordes vibrantes qui donnent son charme à ce titre. La voix de MONTAND y est plus chantante que jusqu’alors et c’est agréable malgré la gravité des paroles. La douleur se chante sans apitoiement. Valse au piano maintenant avec "Saltimbanques". La musique est douce, dansante. MONTAND reste ce comédien chanteur qui sait jongler avec les humeurs, il passe alors du drame à la légèreté. Ici, c’est une jolie ode à la vie de scène, aux artistes. La musique et sautillante, enjouée, prend même des allures fanfares. Il livre ici un hommage tendre légèrement teinté d’une jolie mélancolie. "Flamenco De Paris", elle, surprend par son rythme et son décor. Un flamenco qui débute dans une longue introduction musicale ibérique. La chanson évoque d’ailleurs une scène ibérique dans un cabaret parisien. Si l’on attend que la musique s’enflamme et que la voix suive tel un flamenco, eh bien ça ne vient jamais, c’est un titre où les notes autant que les mots s’allongent, s’étirent, se suspendant, un peu trop.

L’on a ensuite, "Saint-Paul De Vence" et son accompagnement à la guitare sèche, tout simple. Ce n’est pas une grande chanson à refrain, par un air marquant. Mais, c’est un instant suspendu. MONTAND évoque ce petit village perché sur les hauteurs de là où je vis, refuge d’artistes et de rêveurs avec une douceur infinie. Tout est simple, la poésie suffit. "Rendez-Vous Avec La Liberté" poursuit sur cette lignée, bien qu’à l’arrangement plus vif, toujours entre piano et accordéon. Le texte est limpide, terriblement efficace. Il y parle de la liberté comme on parle d’un rendez-vous amoureux, d’un idéal qu’on attend, qu’on espère. Il l’invoque. Et dans ces mots résonne sa trajectoire d’homme engagé. Et puis, il dessine un tableau en apparence naïf avec "Le Routier". C’est frais, c’est agréable, ça lui ressemble.

Avec ce disque, l’on aperçoit une nouvelle facette du chanteur, sans être en rupture avec les disques précédents. Ce serait plutôt une extension naturelle. Ici, il donne sa voix aux soldats perdus, aux galériens, aux routiers, aux artistes, aux rêveurs. Et pour ce faire, il raconte, met en scène et incarne. Et dans chaque chanson, c’est une part de l’humanité qu’il sauve de l’oubli. Les orchestrations ancrées dans la chanson française se font presque absentes par moment et essentielles à d’autres instants. En tout cela, Yves Montand Chante Ses Dernières Créations ouvre une porte. Il est, ici, plus que jamais une voix de son temps.