Yves Montand Chante Ses Derniers Succès parait en 1954. Il fait partie de ces disques qui vous effleurent le cœur. C’est un rendez-vous, un tendre moment suspendu. Une voix chaude, un soupir musical, un récital, comme une soirée au théâtre. Yves MONTAND, qui oscille entre la tradition populaire française et les influences Jazz et music-hall parvient ici à conjuguer les deux sans les opposer et l’ensemble résonne comme une promenade intime et particulièrement bien rythmée.

Tout commence avec une déclaration d’amour limpide, "Car Je T’aime". Valse légère et virevoltante, où la voix se fait caresse, Montand y chante comme on prend une main sans forcer le geste. L’accordéon qui s’ajoute au piano accompagne d’un pas sûr. Il y a là une élégance naturelle très agréable. Puis vient "Sanguine". Elle a une énergie différente. Elle se déploie dans la lenteur et la mélancolie de l’interprétation et se plaît dans les accélérations soudaines de l’orchestre swingué et feutré. Il choisit ensuite le visage de la nostalgie avec "Le Vieux Canal". L’eau semble couler lentement entre les notes cristallines du piano, et le chanteur, flâneur mélancolique, y laisse dériver le récit. C’est une jolie errance.

Et puis, il y a "Ninon, Ninette". On retrouve la veine plus espiègle de MONTAND, morceau de théâtre musical. C’est un clin d’œil, une pirouette, un numéro de charme. L’accordéon s’y promène avec malice, l’orchestration danse comme un petit manège. Le chanteur y incarne un personnage tendre, follement attachant. On l’imagine, les mains dans les poches, souriant en coin, jouant avec le public d’un regard complice. Le disque est tissé de contrastes subtils, ainsi, "Il A Fallu" enchaîne une nouvelle valse mais celle-ci hésite, tourne en boucle, chante de rythmes, comme une pensée obsédante. C’est la guitare qui vient briser ce cycle. Plus pesante que les chansons précédentes.

Jamais prisonnier d’un seul décor, avec "Le Chemin Des Oliviers", MONTAND revêt le visage mélancolique mais sous le paysage des collines sèches et des silences pleins de lumière. C’est une chanson simple, presque murmurée tant à la voix qu’au piano. Changement de ton avec "Cartes Postales". L’on revient à une légèreté plus dansante, sans renier cette pointe de mélancolie qui colore l’ensemble du disque. La chanson s’égrène comme un bouquet de souvenirs, un carnet de route d’un homme resté sur le quai, rêvant d’ailleurs. Une énumération nonchalante qui passe d’un continent à l’autre. L’air en trois temps, léger, sautillant, voyage lui aussi. C’est une valse itinérante, qui saute d’un rivage à l’autre avec une tendresse fragile. MONTAND y trouve un juste équilibre entre la rêverie et le sourire.

Cette alliance du piano et de la valse, décidemment, structure tout l’album. Et c’est sans surprise qu’on la retrouve dans "Le Doux Caboulot", mais tout en douceur, tout satiné. Il fait revivre un bistrot disparu avec ses odeurs, ses silhouettes, ses chansons et ses airs perdus, chaque mot fait surgir un décor et la voix s’alanguit comme un client attardé.

Cet album préfère le murmure à la clameur. Et c’est dans sa sincérité tranquille que réside sa grandeur. Il avance à pas feutrés, confiant, dans la force du détail, dans la justesse d’un mot posé, d’une respiration laissée en suspens. Montand y est tour à tour flâneur, nonchalant, amoureux, conteur, enfant du Sud, poète de la ville. Il ne pousse pas la voix, il raconte, il habite, il suggère. Ce disque est une balade d’élégance simple et tendre. Juste la beauté d’un répertoire porté par une sensibilité profonde et une présence qui sait se faire discrète sans jamais disparaître. L’écouter, c’est accepter de ralentir.