Yves MONTAND se tourne vers un répertoire qui n’est pas le sien mais qui appartient à tous puisqu’il s’agit de Chansons Populaires De France. Il s’agit de reprendre à bras le corps une mémoire vivante, celle des refrains transmis au coin du feu, sur les routes, dans les champs, dans les villes, parfois dans les prisons ou les casernes. Ces mélodies, certaines vieilles de plusieurs siècles, portent l’empreinte de l’histoire collective, et MONTAND, accompagné par Bob Castella et son orchestre, choisit de les interpréter avec respect, sobriété et une attention particulière à la couleur de chaque texte donnant à ces airs la sobriété d’un chant nu ou l’ampleur orchestrale d’une fresque sonore.

L’ouverture "Le Roi Renaud De Guerre Revient" donne le ton. Une ballade ancienne, cérémonielle, où les cordes graves portent la voix comme une procession. MONTAND se place dans la peau d’un ménestrel et adopte une diction mesurée, laissant chaque mot peser dans l’air, et la musique est telle un récit sonore accompagnant le récit tragique. L’on passe ensuite à une suite de chansons traditionnelles du XVIIIème siècle. C’est "La Complainte Du Mandrin" qui ouvre la marche. Ballade en douceur, la guitare et l’accordéon se glissent entre les couplets. Ici, MONTAND raconte plus qu’il ne chante donnant à Mandrin, contrebandier français, l’allure d’un héros populaire et frondeur, et à l’accompagnement une souplesse presque dansante. La rythmique militaire domine avec "J’avions Reçu Commandement", chanson antimilitariste. C’est tout de même le côté dansant, humoristique et guilleret qui ressort malgré les paroles. L’humeur bascule avec "Aux Marches Du Palais", une ballade d’amour simple et tendre. Le tempo déploie en valse légère un piano tout en accords des plus simples et des cordes languissantes et planantes. MONTAND adoucit son timbre, retrouvant une chaleur souriante.

Puis, dans "Le Roi A Fait Battre Tambour" on conserve toute la simplicité du chant populaire sur un accompagnement au clavecin tout en arpèges et en aigu surtout soulignant certains passages, comme pour rappeler la grandeur d’un récit historique. Une légère marche militaire reprend avec "La Chanson Du Capitaine" mais avec plus de fluidité et de légèreté grâce aux flûtes. Ce sont les cordes et l’interprétation qui apportent la mélancolie. Même ambiance sur "Le Soldat Mécontent" qui ouvre la seconde partie avec un sourire en coin. Ici, tout est dans la satire douce-amère, où la guitare tantôt grave tantôt sautillante contraste avec le contenu grinçant du texte. Seule la fin, avec ses tambours, se joue dans une ambiance des plus solennelles. Cette connivence se mue en fraternité ouvrière avec "Les Canuts". Aristide Bruant écrit cette chanson pour les canuts de Lyon. L’arrangement se dépouille, rythme simple, accompagné d’un orgue, voix droite, et un chœur solennel pour clore le chant. On sent que MONTAND connaît la portée de ce chant et qu’il choisit de la servir sans surjeu. Un beau moment.

Vient ensuite le beau titre "Le Temps Des Cerises". Les cordes y sont plus présentes, mais jamais envahissantes et le piano discret souligne chaque inflexion de la voix. MONTAND ralentit légèrement le tempo, laissant aux paroles le temps de s’installer dans la mémoire de l’auditeur. Après cette douceur poignante, "La Butte Rouge" écrite après la Première Guerre Mondiale réintroduit la ferveur militante sur une jolie valse. Les mots et l’interprétation sont justes et touchants, et l’accompagnement, notamment grâce à l’accordéon, est séduisant.

Après ces grands moments, "Giroflé, Girofla" apporte une respiration. Ici, l’accordéon retrouve des couleurs vives, le rythme se fait sautillant et MONTAND joue presque à fredonner, bien que toujours les paroles soient dénonciatrices. Le final se fait, presque évidemment, sur "Le Chant De La Libération". Seulement un battement régulier, grave, comme des pas tendus, ou un cœur qui bat sous la menace. Un phrasé mesuré, où chaque mot pèse. MONTAND chante pour se souvenir, pas pour faire du spectacle et cette retenue rend l’interprétation plus forte encore.

Cet album, au-delà de la simple compilation de chants traditionnels, est un voyage dans la mémoire collective. MONTAND raconte, incarne et transmet. Les arrangements de Bob Castella sont essentiels, car ils parviennent à trouver pour chaque chanson la juste balance entre respect des origines et mise en valeur moderne. Un travail qui évite la reconstitution poussiéreuse et privilégie l’émotion directe. Cet album est un geste cohérent pour un artiste conscient que la chanson n’est pas seulement un divertissement mais aussi un lieu de mémoire et de message.