Pour ce nouveau disque, Yves MONTAND rassemble des poèmes d’Eluard, Desnos, Aragon, Hikmet, Hugo autant de voix qu’il réunit sous la sienne, et les habille de musique signée Philippe Gérard, Michel LEGRAND, Colette Magny, entre autres. La pochette bleutée et sobre laisse deviner une geste plus intime qu’esbroufeur. L’orchestre, toujours conduit avec finesse.

"Je T’aime", sur un poème de Nush et Paul Eluard, installe un climat tendre. Philippe Gérard signe une mélodie ample, un brin cinématographique, où les cordes enveloppent doucement la voix. MONTAND flotte sur cette ballade presque classique. L’album navigue ensuite vers la fantaisie de "Idylle Philoménale", à peine une minute quarante d’espièglerie. Les arrangements y sont légers, mutins : des cuivres fripons, un piano sautillant, et MONTAND malicieux. C’est une poésie qui sourit, une pièce de spectacle presque avec ses applaudissements qui encadrent le début et la fin de la chanson.

Avec "La Plus Belle Des Mers" un texte du poète turc Nâzim Hiket, MONTAND s’aventure dans une émotion plus nue. Les harmonies sont simples et s’inscrivent dans une tradition classique : des arpèges ici et là, des souffles discrets et l’orchestre qui gonfle à mesure que l’émotion gonfle. C’est tout en douceur, pur, palpable, proche et émouvant. "Mon Frère" est signé du même poète. Le style diffère, le phrasé oscille entre le chant et le parlé. La diction impeccable fait partie du charme de la chanson. La musique se fait plus moderne, très percussive. Elle touche mais moins directement.

"Bourlingue" porte un parfum d’aventure. La chanson marche d’un pas décidé, soutenue par une rythmique marine et un refrain qui tangue comme une valse musette. À l’inverse, "L’amoureuse" ramène l’auditeur dans l’intimité d’Eluard. Les mots de sa déclaration d’amour sont repris en chanson et font fondre, accompagnée simplement et joliment de quelques notes de piano et de vent.

Michel LEGRAND apporte deux touches jazzy bien appréciées : "La Colombe De L’arche" et "Coucher Avec Elle", toutes deux sur des textes de Robert Desnos. Dans ces morceaux brefs, LEGRAND déploie son art des harmonies subtiles : un jazz qui pulse pour la première, et un mélange de swing feutré et de chanson raffinée pour la deuxième. MONTAND les interprète presque comme un acteur qui chuchote une réplique à l’oreille du spectateur. Il force plus sa voix sur "Coucher Avec Elle" mais l’arrangement y est délicieux.

La mémoire et le souvenir hantent "Je Me Souviens", texte de Louis Aragon. Yves MONTAND ralentit le temps, la mélodie, une guitare et un piano des plus nus, se fait presque statique pour mieux coudre un final éclatant. "Le Port" se veut plus grandiloquent, plus pesant aussi. "C’était" amène une coloration différente, un peu plus pop avec une rythmique discrète et des accords de guitare qui flirtent avec la variété française de l’époque. C’est joli mais sans plus. Puis vient "Les Tuileries", poème de Victor Hugo mis en musique par Colette Magny. C’est une rencontre audacieuse : le classicisme du texte et l’avant-gardisme discret de Magny. On retrouve des accords similaires à la chanson précédente, mais, MONTAND se balade sur les mots avec aisance et flânerie et c’est réussi.

Ce qui touche dans cet album, c’est l’unité malgré la diversité des auteurs, tout s’assemble comme une suite poétique. Le piano et la guitare dominent, soutenus par une contrebasse chaude et des percussions qui ponctuent ici et là. Les cordes apparaissent par touches. Il ne cherche pas à rivaliser avec les modes, il creuse un sillon parallèle. MONTAND s’y montre, une nouvelle fois, passeur de poésie. En 1967, alors que le monde change à toute vitesse, il prend le temps, il ralentit et invite à faire de même : tendre l’oreille et se laisser à nouveau porter par la voix d’un homme qui sait faire chanter la poésie.