Musicien de 33 ans, Gabriel GOSSE est un guitariste de Jazz surdoué ayant suivi un cursus d’apprentissage très qualitatif au sein du conservatoire de Rouen, puis au C.M.D.L (Centre des Musiques Didier Lockwood) et enfin au conservatoire national supérieur de musique de Paris dans la section Jazz et musiques improvisées. Après avoir notamment accompagné Guy De Pretto et Philippe Katerine (qui dit joliment de lui Gabriel est agile comme un félin, magique comme Merlin), Il monte un trio en compagnie du batteur Antonin Violot et du bassiste Bertrand Beruard qui va enregistrer, aidé par une belle brochette d’invités talentueux, son premier album joliment intitulé Flow et qui paraît fin 2021.

Le Flow caractérise une forme d’état de grâce lié à l’accomplissement ressenti dans une pratique dont on possède la parfaite maîtrise; on peut imaginer que cette idée s’adapte parfaitement à ce que ressent Gabriel aux commandes de sa Fender Jazzmaster. Mais il explique que la notion de Flow renvoie également dans son esprit aux notions d’élasticité et de flottement et à quelque chose de simultanément aérien et aquatique. On retrouve ces éléments dans la musique qu’il nous propose : si Gabriel GOSSE est venu au Jazz par son intérêt pour les guitaristes de fusion, il prône en effet une vision étendue d’un genre musical qui a besoin de se dépoussiérer. On trouve ainsi dans sa musique, pleine de couleurs et d’images, des influences pop (son style est souvent qualifié de 'Jazz Pop'), électro voire Hip-hop très marquées. Mais l’héritage des glorieux aînés se fait également sentir : le lyrisme de Pat METHENY, les fulgurances d’Alan Holdsworth ou encore la liberté rythmique de John Abercrombie imprègnent également son jeu.

Le Normand développe tout au long du disque une approche très personnelle de son art, tissant dans la plupart des morceaux de superbes nappes d’arpèges et de sonorités généralement planantes élaborées grâce aux multiples possibilités offertes par les effets mis à la disposition de son instrument. L’habillage sonore est le plus souvent assez planant et vaporeux, l’écho et le delay étant largement utilisés pour habiller la texture sonore. Les parties de batterie sont modernes et vigoureuses, parfois très proches de beats électroniques, parfois pleinement Jazz, alors que le son de la basse s'avère également splendide tout au long du disque, on pense beaucoup aux prodigieuses sonorités que Jaco Pastorius tirait de sa basse fretless à l’écoute du disque. A noter également le bel usage de voix : Gabriel double fréquemment ses parties de guitare en fredonnant les thèmes et renforçant ainsi leur potentiel émotionnel et leur caractère organique.

Le disque, illustré d'une belle photo de notre artiste, évoque les différentes étapes de la vie du jeune prodige. On entend d’ailleurs une cassette se rembobiner au début du titre "Introducing Flow" dont l’arpège déploie des couleurs chatoyantes et voit la guitare doublée par des chœurs légers pour développer son joli thème onirique. "Night Run" poursuit le voyage dans le même esprit, porté par une très vigoureuse section rythmique qui apporte au titre une belle dose de modernité. Le thème en son clair est superbe et le solo à la guitare synthé non moins réussi et plein de musicalité. "Childhodd Memories" est un nouvel instrumental empreint d’une jolie mélancolie et magnifié par les interventions pleines de classe du saxophoniste Logan Richarson. La trame harmonique, le superbe thème, les lignes de basse classieuses et la batterie inspirée font de ce morceau une nouvelle très belle réussite.

Sur "Disillusion Days", c’est Ann Shirley, ancienne candidate très remarquée du télécrochet "The Voice" qui apporte son timbre suave et profond à un titre joliment construit, assez progressif d’esprit et empli de belles surprises pour évoquer les déboires amoureux. Les grosses lignes de basse saturées en milieu de titre et les chorus de guitare sont particulièrement bienvenus. Ann revient sur "Crossing The Unreal", titre également très réussi qui déploie lentement de superbes mélodies, et beaucoup de finesse instrumentale dans une ambiance planante. "Fiesta", sur lequel apparaît le multi-instrumentiste et chanteur guyanais Yann Villageois, est également un moment fort, avec un superbe break central et une ligne de guitare lead spectaculaire dans la seconde partie du titre, avant une partie rythmique de toute beauté. "Under The Waves" me fait beaucoup penser à l’album Watercolors de Pat METHENY, avec ses grosses lignes de basse qui évoquent les vagues venant submerger une toile harmonique répétitive jouée à la guitare. Le thème est joli, alors que les chorus de guitare sont superbes et inventifs en jouant sur la large palette sonore offerte par l’instrument.

"Endless Sunrise (intro)" voit Gabriel développer cette fois sa trame harmonique sur une guitare classique (bientôt doublée par une électrique) qui poursuit son ouvrage sur "Endless Sunrise" où figure le clarinettiste et saxophoniste Laurent Dehors improvisant dans un esprit Free Jazz très prenant. "Rebound" installe une ambiance tropicale avec des rythmes carribéens, alors que "Saî Saî" dévoile à son tour des couleurs exotiques, avec un rythme entraînant, des passages un peu funk et d’autres assez chill. Sur ce titre, vient se poser en outre le saxo de Guillaume Perret. "Gentle Chaos" est un solo de guitare impromptu bien nommé, alors que "Wolf Gnicudortni" porte le nom du premier morceau du disque à l’envers, et nous propose ce même extrait à contresens ; la boucle est ainsi bouclée et le disque s'achève.

Ce premier enregistrement est très réussi, plein de fraîcheur, de belles ambiances, de jolies mélodies, de brio instrumental et de variété. L’approche de la musique Jazz du trio est incontestablement moderne et novatrice, tout en respectant l’essence du genre, ce qui me semble être une ligne de conduite à conserver pour la suite de leurs carrières. Il nous reste à souhaiter à Gabriel GOSSE et ses acolytes de nous revenir prochainement pour de nouvelles aventures, sur disque et sur scène, auxquelles nous serons ravis de participer.