Le visage sur la pochette et le nom de l’album, For McCoy, parleront probablement à la plupart des lecteurs ; il s’agit bien de l’acteur Sam Waterson à qui la compositrice japonaise rend ici hommage, un acteur surtout connu pour sa participation indissociable de la série TV Law & Order, traduite en français sous le nom New York, Police Judicaire dans laquelle l’acteur a interprété le rôle du procureur Jack McCoy durant près de vingt saisons (1994-2010 et 2002 à 2024). Bien entendu, l’acteur a joué de nombreux autres rôles dans des films et séries mais c’est ce rôle, et ce personnage central, qui a été choisi par Eiko Ishibashi comme source d’inspiration pour cet album.

Je ne suis pas un bon connaisseur de la série New York, Police Judicaire et je ne pourrais donc affirmer que cette musique inspirée par celle-là s’aligne bien sur ses atmosphères, ou même qu’il s’agisse d’une telle intention de la part de son auteure.

En revanche, For McCoy est indéniablement un des albums expérimentaux les plus réussis de Ishibashi avec des atmosphères particulièrement attachantes même si cette réalisation peut prendre un peu de temps pour être bien comprise par des auditeurs peu adeptes de ce type de musique et de format (trois titres pour un peu plus de 40 minutes, dont le premier titre de près de 20 minutes et le deuxième de 16 minutes).

A l’accompagnement de la chanteuse et pianiste japonaise on retrouve l’incontournable Jim O'Rourke (guitare, basse, mastering et mixage), le batteur australien Joe Talia, et un autre batteur bien connu, Tatsuhisa Yamamoto. L’album est sorti sur le label Black Truffle de l’Australien Oren Ambarchi, ce qui est un gage de qualité de fabrication pour les adeptes de vinyles.

Se remarquent dans cet album des ingrédients différents : le jazz bien entendu, évident pour tous dans le final "Ask Me How I Sleep At Night", de l’ambient, encore des approches de musique concrète, du field recording, du free-jazz ou un passage par la musique répétitive chère à Steve Reich, Philip Glass ou Bryce Dessner…

Pour ceux qui connaissent cette mégapole, nous sommes loin dans For McCoy du bruit assourdissant continuel de la Grande Pomme, il s’agit d’une musique aux images plutôt lentes, d’une ville presque vide ou lointaine, qui appartiendrait à une autre dimension, ce qui finalement nous transporte dans des décors quelque peu surréalistes, dignes du monde des rêves. Il y a bien ces cloches que l’on entend dans le lointain, ces bribes de saxophone qui nous parviennent comme s’il était joué dans un club ou une chambre aux fenêtres ouvertes de l’autre côté de la rue, ou un peu plus tard des pépiements d’oiseaux, de la pluie et quelques brefs passages de bruits de circulation ; mais peu d’aspérités nous permettent de nous accrocher à cette ville finalement évanescente, peu palpable et qui nous échappe sans cesse.

Les textures linéaires porteuses de tensions qui s’invitent après une douce entrée en matière à la flûte "I Can Feel Guilty About Anything - Part 1", ainsi que de douces pulsations, semblent passer le témoin de la nuit à l’aube, le passage non entre le chien et le loup mais entre le loup et le chien, alors que le léger frémissement des cymbales, accompagné de la flûte, et qui va gagner en intensité, peut imager l’éveil de la vie. La fin de la première partie, dissonante, ainsi que le début de la deuxième partie, tout aussi psychédélique, c’est Alice aspirée dans le trou du lapin blanc : le décor se brouille, la ville se transforme en brume insaisissable pour ne plus que se deviner, souvenirs alors d’une autre dimension. Dans cette brume commencent à apparaître des bribes de mélodies qui composeront le dernier titre.

La première partie de "I Can Feel Guilty About Anything – Part 2", quasi dark ambient, prolonge ce monde fait d’apparitions étranges, le violon de Mio Okamura nous plonge de nouveau dans le pays des merveilles alors que dans la seconde on arpente ce territoire surréaliste, dans un changement d’humeur radical, avec un long passage d’harmonies vocales éthérées, flottant sur un tapis musical inspiré, lui aussi, par la musique répétitive. C'est un peu de raies de lumière dans un album jusqu'ici non pas sombre mais plutôt 'cloudy'.

Réveil ensuite dans un monde connu. Le dernier titre "Ask Me How I Sleep At Night" est une jolie et lumineuse composition de jazz instrumental, conduite par le saxophone alto de Daisuke Fujiwara, et qui se clôt avec la flûte de Ishibashi - qui reprend les motifs d’ouverture de l’album - et la sonorité flatteuse de la guitare de O’Rourke.

For McCoy est un album intriguant. Le bruissement de la ville de New York est furtif, presque imperceptible. Les deux longs titres nous entraînent dans un monde surréaliste, qui relève plus du rêve, de l’altération de la conscience que de la réalité. La ville se dérobe et l’auditeur ne saura jamais vraiment où il se trouve. Tant mieux car cette approche originale est joliment réussie, For McCoy est donc avant tout un voyage, une expérience musicale envoûtante vers laquelle on sera régulièrement tenté de revenir.