QUEENSRYCHE et Geoff Tate, c'est fini. Bon, jusqu'ici, pas vraiment de scoop, nous sommes d'accord. Mais c'est stylistiquement que la fracture est désormais évidente. Si le groupe de Michael WILTON a décidé de continuer à donner dans le heavy metal mélodique extrêmement classique, Geoff lui a profité de la formation de son nouveau groupe ("projet" serait bien plus exact) pour s'éloigner de plus en plus du metal et donner dans un hard rock mélodique, ou si on veut vraiment être précis, dans un rock, mélodique, et hard. Et prog.

Et pas vraiment apprécié.

Pourtant il y met du coeur, le père Tate. Et ce dernier album de la "trilogie The Key" est là pour éloigner encore plus les plaques tectoniques. Le premier volet était assez intrigant, le second plus profond et complexe mais toujours avec certains éléments, ce troisième aura deux axes principaux. 1 : il est trop long et bien trop déséquilibré, qualitativement parlant. 2 : Geoff fait désormais absolument ce qu'il veut, et il vous emmerde, particulièrement si vous vous appelez Michael, Scott ou Eddie. Sa créativité l'amène parfois à se fourvoyer dans des passages inutilement complexes et/ou cérébraux, à faire des choix curieux, à se louper, et ici c'est dans les grandes largeurs. En revanche, il n'a pas perdu sa sensibilité sur deux instruments : le saxophone et le synthétiseur. Deux instruments que QUEENSRYCHE a barré de son vocabulaire depuis 2013.

On trouvera donc dans ce disque des titres ou plages très cinématographiques, avec moults bruitages, dialogues et effets ; des chansons plutôt axées prog et ambiant avec quelques riffs bien juteux mais tout autant de pads aériens ; et des chansons hard rock assez basiques. Dès le premier morceau, Geoff Tate tente de brouiller les pistes, et il y arrive fort bien : "A Head Long Jump" n'est ni une intro "à la Hans ZIMMER", ni une chanson de hard-rock, ni un délire créatif obsessionnel compulsif, mais bel et bien tout ça à la fois ! Et soniquement, on trouve aussi de tout : des guitares immenses et parfois trop lourdingues, une voix... tenez-vous bien, sous-mixée (!!! allez me parler de son égo après ça !), et des programmations de synthés entre très kitsch (ces faux cuivres à la TANGERINE DREAM de "Inferno") et sublimes. C'est ce qui fait avant tout le charme de cet album : les détails sonores qui sont parfois très impressionnants (l'écoute au casque dans la rue peut vous réserver quelques surprises).

Ensuite, il faudra trier le bon grain de l'ivraie pendant toute la durée du disque. Il y a du fouillis qui endort un peu car trop compliqué et trop foutraque (le début de "It Was Always You", "The Wave", "The Fear"), du simpliste carrément ennuyeux où Tate mérite un poil sa réputation de sous-sous-sous-ex-chanteur du Rÿche ("Wake Me Up", "My Eyes" où ladite écoute au casque vous laissera interloqué), et du bon. Du très bon. Malheureusement, jamais de A à Z : aucun titre n'est absolument parfait, il y a toujours des petites choses qui coincent. Maintenant, le final FLOYDien de "It Was Always You", pas au niveau mais dans l'esprit du fabuleux "Promised Land", le riff de relance simplissime de "New Reality", les ambiances de "All For What" qui vous rappelleront, attention les yeux, The Lamb Lies Down On Broadway (si !), tout cela est fort délectable, bien réalisé, accessible et maîtrisé. On oubliera en revanche la conclusion de cette étonnante et très recommandable trilogie : "The Same Old Story" est abominablement frustrante, fin bâclée, sans queue ni tête.

Le disque fera donc sans arrêt le grand écart entre excellence et médiocrité, et si les trois derniers titres sont globalement très décevants, l'écoute complète se montre ni pénible ni trop longue. Un bonus en la personne d'une version unplugged de "Take Hold Of The Flame" rappelle que s'il a perdu un poil de sa superbe vocale, Geoff sait toujours tenir un auditoire au creux de la main. Un disque donc entre chien et loup, mais qui a un mérite indéniable : Geoff Tate fait du Geoff Tate, avec une recette secrète maison que personne n'arrivera à copier, et surtout pas ses anciens acolytes. Donc à vous offrir avec quelques précautions, en espérant que, le projet désormais achevé, Tate pourra se débarrasser des oripeaux "progressif" et "conceptuel" pour nous livrer un prochain album encore plus personnel et solitaire.