Bob GADDY voit le jour en février 1924 à Vivian, une bourgade minière de Virginie Occidentale, à 150 bornes au Sud de Charleston. Comme beaucoup de jeunes afro-américains, il fait ses gammes dans la chorale de sa paroisse. Mobilisé dans la Navy par l’Oncle Sam en 1943, il en ressort trois ans plus tard bien décidé à tenter sa chance dans la musique. Durant sa mobilisation il a découvert T. Bone Walker, Cecil Gant et Louis Jordan. Son expérience du Gospel et du piano conjuguée aux nombreux jazzmen qu’il a rencontrés pendant la Seconde Guerre l’incitent à persévérer dans le domaine du Blues.

Etabli à New-York à sa démobilisation, il rencontre Sonny Terry, Brownie McGhee, Bob Harris et Champion Jack DUPREE qui lui mettent le pied à l’étrier. Pendant quatre ans, Bob Gaddy se produit le soir dans les nombreux clubs de la Big Apple. La musique est en totale effervescence, les tendances newyorkaises changent, passant du Jazz au R&B pour finir par le Blues et le Be Bop, des influences dont notre pianiste va se nourrir.

Il faut attendre 1952 pour qu’il fasse ses premiers pas dans un studio d’enregistrement avec un premier single édité par le label Jackson au sein des Night Owls de Sonny Terry. Notre pianiste enchaîne aussitôt avec un premier microsillon sous son nom en compagnie du guitariste Larry Dale. Capable d’évoluer sur plusieurs champs d’action (Gospel, Blues, R&B, Rock n Roll), Bob Gaddy va enregistrer treize singles entre 1952 et 1960, auxquels il faut ajouter dix autres dans un rôle d’accompagnateur. Sa dernière participation discographique se termine en novembre 1961 avec un 45 tours de Larry Dale publié par Atlantic. Sentant que les tendances et les modes ne cessent de tournoyer, Bob Gaddy deviendra chef dans un grand restaurant newyorkais. Il continuera de se produire dans les clubs de sa ville d’adoption jusqu’à ce que la vague Disco emporte tout sur son passage.

Bob Gaddy donnera un dernier concert en 1988 au Tramps en compagnie des guitaristes Larry Dale et Jimmy Spruill. Bob a tiré sa révérence en 1997 victime d’un cancer du poumon.

Ne cherchez pas d’album de Bob Gaddy, il n’y en a pas. Seules trois compilations ont vu le jour. En 1986 le label anglais ACE a édité Rip And Run un vinyle de 16 titres. Le label Moonshine lui a consacré Bob Gaddy & Friends - Bicycle Boogie une compile de 18 faces dont 8 du pianiste.

Publiée en 1993 par les anglais d’ACE Records sous le nom de Harlem Blues Operator, cette troisième compile reprend en fait les seize titres de Rip And Run auxquels on a rajouté cinq faces Old Town parues en single n’apparaissant pas sur la première compilation.

C’est donc une anthologie complète des faces Old Town agrémentée de quatre titres inédits en singles mais présents sur Rip And Run que nous propose Ace Records. Certains amateurs de statistiques pourraient sourciller puisque 9 singles ajoutés à quatre pseudos inédits retrouvés au milieu des eighties par Ray Topping, le concepteur du recueil, font 22 titres, mais "Paper Lady" fut publié sur deux singles différents (Old Town 1039 et 1064).

Si on peut reprocher un manque total de chronologie, une habitude chez les compilateurs anglais qui privilégient souvent les changements de rythmes ou de styles aux dates, ce recueil de 21 titres (durée 54.44 minutes) constitue à ce jour l’opus le plus complet. On peut cependant regretter que le label n’ait pas proposé une anthologie complète avec les faces Jackson, Jax, Dot et Harlem, soit huit titres supplémentaires, une démarche loin d’être insurmontable. Enfin, sachons nous contenter de ce qu’on nous propose.

Pianiste versatile capable d’évoluer sur plusieurs registres, Bob Gaddy délivre ici un bon panel de Blues fifties. Rappelons que le Blues newyorkais n’a jamais connu l’ampleur de villes comme Chicago, San Francisco et encore moins de la région du Delta. Le Blues de la Big Apple est resté résolument ancré entre le Jazz, le R&B joué à Harlem, les orchestres de Swing. Durant le milieu des fifties, si Sonny Terry, Brownie McGhee ou Gary Davis parviennent à maintenir les influences d’un Blues plus rural évoquant Blind Boy Fuller, ce registre se cantonnera plus spécifiquement auprès d’un jeune public blanc issu du Folk comme il se pratique à Greenwich Village.

Bon pianiste et chanteur vibrant marqué par le Gospel, Bob Gaddy délivre ici une œuvre personnelle souvent marquée d’une nuance sombre. Curieusement le compilateur a opté pour un lancement des plus festifs avec "Comme On Little Children", une pièce vitaminée à mi-chemin entre Rock n Roll et un R&B gorgé de Swing porté par le saxophone dévastateur de Jimmy Wright.

Une tonalité ténébreuse et des tempos lents restent comme les marques de fabrique du pianiste comme en atteste "Stormy Monday Blues", grand succès de T. Bone Walker. Si "Forgive Me" évoque par moment l’influence de la Nouvelle Orleans, le côté tourmenté et plein de lenteur plane sur tout le reste. Les Slow Blues d’inspiration chicagoanne à la sauce newyorkaise demeurent d’excellents champs d’investigation : "Paper Lady", l’un de ses plus gros succès, "What Would I Do", "Till The Day I Die" et "I’ll Go My Way" en sont les parfaits exemples.

Le newyorkais d’adoption se montre efficace dans un registre lié au New Orleans Sound, plusieurs titres évoquent l’ombre de Fats DOMINO : "What Wrong Did I Do", "You Are The One" porté par la guitare de Joe Ruffin et le sax de Jimmy Wright, "The Girl Who Promises" qui évoque le saxophoniste Lionel Torrence, "I Love My Baby" à la frontière entre DOMINO et Champion Jack DUPREE, "Early One Morning", l’excellent "Woe Is Me" et "Take My Advice". La Crescent City est encore mise à l’honneur avec "The Things That I Used To Do", hit de Guitar Slim délivré ici dans une version pleine de moelleux et de saveur.

Bob Gaddy nous surprend même avec "Don’t Tell Her", une ballade Pop toute en douceur qui pourrait provenir d’un disque des EVERLY BROTHERS. "Operator" *, une compo de Lucille Dupree épouse de Champion Jack, nous entraîne entre Chicago et Barrelhouse Blues.

La cadence monte d’un cran avec "Out Of My Name", un Black Rock n Roll mené par la guitare de Joe Ruffin. Création de Willie DIXON "Could I" se rapproche lui du répertoire de Tarheel Slim, autre second couteau newyorkais auteur du célèbre "Number 9 Train". Autre titre bourré de peps, "Gonna Be At The Station" avec Jimmy Spruill à la guitare s’inscrit nettement dans une veine Rock Pop. Terminons ce panorama avec "Rip And Run", un vrai Rock n Roll mené tambour battant par la guitare de Larry Dale. Peut-être le titre le plus connu du pianiste.

Bob Gaddy fait partie de ses seconds couteaux du Blues comme l’Amérique en a fabriqué à la pelle. Chanteur plein de feeling, pianiste élégant à l’aise sur les ballades, il laisse derrière lui une trentaine de titres qui mériteraient selon nous de figurer sur une anthologie. A l’instar de Sonny Terry, Brownie McGhee avec lesquels il a longtemps joué, Bob Gaddy a animé pendant deux décennies les clubs et les cabarets de la big Apple, souvent secondé par de brillants guitaristes (Larry Dale, Jimmy Spruill ou Joe Ruffin).


*Titre homonyme à ceux de Wynona Carr et Smokey Robinson.