Encore un brillant (et obscur) groupe comptant parmi les pionniers du metal. Fondé en 1967, BUDGIE sort son premier album éponyme en 1971. Ce trio gallois réunit le chanteur et bassiste Burke SHELLEY, le guitariste Tony BOURGE et le batteur Ray PHILLIPS. Budgie est aujourd’hui rétrospectivement considéré comme un album de « proto-metal » - un terme légèrement pompeux mais le metal n’était pas encore un genre bien distinct à cette époque.

Ce disque est à la fois passionnant d’un point de vue musical et historique, notamment si l’on s’intéresse à l’émergence du metal et à ses fondements. Les titres oscillent entre blues, heavy et psychédélisme. On distingue très nettement les influences de certains groupes des années 60 comme CREAM ou BLUE CHEER. Et en même temps, leur musique laisse déjà entrevoir les futurs codes du heavy metal de la fin des années 70 : riffs lourds sans être écrasants, son rugueux et production un peu approximative – ce qui fait tout le charme de l’album.

A la même époque, d’autres formations restées dans l’ombre s’essaient également à des formes embryonnaires de heavy metal, telles que BOLDER DAMN, HORSE ou encore SIR LORD BALTIMORE. Mais force est de constater que BUDGIE se distingue avec ce premier disque. Au-delà des riffs puissants, il y a surtout la voix très singulière de Burke SHELLEY- et surtout, la formation manie habilement l’ambiguïté entre un proto-metal rugueux et des morceaux plus aérés, presque oniriques. C’est probablement cette tension qui fait de ce disque une œuvre capable de séduire à la fois les amateurs du rock lourd et ceux que les marges du prog attirent.

"Guts", la première piste, évoque clairement BLACK SABBATH, avec son riff sombre et ses notes descendantes. Surtout, la voix haut perchée de Burke SHELLEY rappelle celle d’OZZY OSBOURNE par le contraste qu’elle crée avec l’instrumentation lourde. Le morceau suivant, "Everything In My Heart" est une jolie ballade, (trop) courte, qui introduit des tonalités plus contemplatives et planantes, en décalage avec les morceaux à suivre. Autant dire que cette deuxième piste a définitivement conquis la progueuse assumée que je suis. Une jolie parenthèse qui s’éloigne des guitares saturées et qui surgit comme un contraste inattendu. Une autre ballade similaire apparaît plus loin dans la seconde moitié de l’album : "You and I", sorte d’interlude qui se glisse entre deux morceaux plus puissants.

C’est précisément ce qui est fascinant dans cet album, l’alliance peu prévisible d’un hard rock rugueux et des passages plus éthérés et mélodiques.

Dans la seconde partie de l’album, BUDGIE met davantage en avant ses tonalités blues, notamment avec "Nude Disintegrating Parachutist Woman". C’est sans doute l’un des titres les plus hybrides du disque. On y retrouve certains codes du rock progressif : dimension narrative, longue section instrumentale qui donne la sensation d’une progression par ruptures et retours, à la manière de King Crimson sur leur premier album.

Enfin, le disque s’achève avec grâce sur son titre le plus abouti, "Homicidal Suicidal". Son identité est plus tranchée que celle des autres morceaux. Le trio se veut beaucoup moins dans l’imitation ou dans l’hommage. Le morceau repose sur un jeu instrumental presque obsessionnel, avec un riff quasi hypnotique, répété jusqu’à l’obsession. Sans être dans la virtuosité ou dans la démonstration, Tony BOURGE, à la guitare, parvient à rendre cette boucle entêtante et efficace.

C’est donc cette coexistence audacieuse entre la rugosité du son – qui annonce déjà les contours du heavy metal – et des tonalités plus éthérées, qui donne à cet album autant de singularité.