Z’EV, de son vrai nom Stefan Weisser, est un véritable précurseur dans la musique industrielle. Qualifié dès ses débuts de "one man orchestra", l’homme se fera un devoir mystique de célébrer les relations saptio-temporelles obtenues grâce à d’obstinés martelages de tôles d’acier, d’inquiétants frottements de PVC et autres manipulations magiques sur matériel récupéré dans des dépôts abandonnés. Artiste de scène autant que poète inspiré, il n’aura de cesse, de 1977 jusqu’à son décès en 2017, de multiplier performances (mémorables selon ceux qui ont eu la chance d’y assister) et moult séances d’enregistrements, sans oublier nombre de collaborations fructueuses, notamment avec Glenn BRANCA, PSYCHIC TV, Boyd RICE, DJ DANO, MERZBOW, Chris WATSON et bien d’autres encore.

Ce Heads & Tales, dans la galaxie qui nous occupe ici, est particulièrement dynamique, parfois à la limite du supportable, plus souvent aux frontières de la transe extatique. L’art rythmique de Z’EV ayant naturellement rencontré le hardcore en chemin, c’est avec une certaine aisance que l’on encaisse ces trois quarts d’heure de tribal indus sans concession.

Les 10 pistes de cet album s’enchaînent avec une cohérence qui, si elle n’est pas vraiment décelable à première écoute, n’en devient que plus évidente à mesure que l’on progresse dans cet espèce de gymkhana chamanique de percussions soutenues par des samples de voix, de commentaires, d’entretiens divers et pour le moins obscurs. Un exercice de style plutôt extrême et entraînant à la fois.
La 4ème piste est particulièrement bien enlevée, rapide à souhait ; comme une course poursuite entre tambours, gros kick technoïde et complaintes de loups lointains. Dans le même genre, la très dynamique et chargée 7ème piste et son interminable vocalise en mode mineur décadent.

La 8ème, inquiétante plongée tribale et tournoyante dans une espèce de prière liquide, nous renvoie au caractère nettement ésotérique, kabbalistique de ce projet. Le final est un véritable festival d’énergie positive dégagée par la fluidité rythmique d’un hardcore personnalisé à l’extrême, jusqu’au cœur de l’individu producteur/destructeur.

Souvent et à juste titre qualifiée d’hermétique, voire glaciale et quelque peu ronflante par endroits, la fascinante musique de Z’EV ne connaîtra pas le succès (relatif) de formations comme TEST DEPT et surtout EINSTURZENDE NEUBAUTEN, qu’elle a par ailleurs grandement influencées.
En ce sens, Heads & Tales est un beau compromis entre techno-indus qui tape dur et méandres de résonances métalliques ponctuées de samples qui sont des commentaires de l’air qui passe. Et plus sûrement encore, l’une des productions les plus accessibles de ce véritable "one man orchestra" qu’était Stefan Weisser.