Fin 93, quatre Suédois prennent le monde d’assaut avec leur premier album, The Sign. Aux manettes de ce groupe créé à la fin des années 80 à Göteborg, il y a Jonas BERGGREN surnommé Joker et son acolyte Ulf EKBERG qui répond sous le pseudonyme de Buddha. Jonas recrute ses deux petites soeurs, la blonde Linn et la brune Jenny pour pousser la chansonnette. Ensemble, ils forment le quatuor Ace OF BASE et se produisent localement avant de publier Happy Nation en 1992. Ce premier album sort d’abord en Europe où il y fait ses preuves et est réédité l’année suivante à l’internationale sous le nom de The Sign.

Happy Nation conquiert les charts européens grâce à quatre singles : "All That She Wants", "Wheel Of Fortune", "Happy Nation" et "Waiting For Magic", que des bangers europop aussi distinctifs qu’efficaces. Le son de Ace OF BASE combine rythmes synthétiques à la puissance mélodique de la dance scandinave et avec ses refrains immédiatement identifiables, le groupe impose un style froid mais terriblement addictif et dansant. La vibe reggae-pop du premier single "Wheel Of Fortune" ne prend pas en Suède mais trouve son succès lorsqu’il est diffusé dans toute l’Europe, friande de programmations rythmiques carrées. Ici, c’est Linn qui domine les parties vocales en alternant couplets calmes et profonds avec un refrain presque crié, porté par des synthés entêtants qui traduisent la forte influence de la synth-pop britannique des années 80.

Moins nerveuse, la chanson "All That She Wants" reste l’un des plus grands succès composés par Joker et Buddha. C’est l’histoire d’une femme fatale chantée avec une distance clinique par Linn. Le beat reprend encore des éléments de reggae digital pour les jouer au ralenti avec un effet quasi dub, où les arrangements laissent de l’espace et de l’écho. "Happy Nation" reprend la rythmique dub et y ajoute un choeur sombre en latin, presque chamanique, en guise d’intro. Un mélange de motifs new age, de percussions électroniques et de nappes planantes donnant à la chanson un ton de prière synthétique. Côté texte, on est sur un message utopiste d’humanité unie à la sauce early 90’s, pourtant, ce qui aurait pu sonner naïf devient quasiment mystique à force d’être répété avec cette froideur mécanique propre au groupe. Finalement, "Waiting For Magic" présente une production bien plus techno où les deux soeurs chantent un refrain ultra-catchy (Kiss me, baby, I am Snow White sleeping in a coffin waiting for you). Joker et Buddha les accompagnent par petites touches mais avec une forte utilisation du Vocodeur, ce qui ne fait pas de ce titre au tempo rapide un raté - loin de là. Ace OF BASE embrasse le synthétique pour créer une pop complètement hypnotique où la froideur des machines devient une signature à part entière.

"Voulez-Vous Danser", "Young And Proud" et "Dancer In A Daydream" poursuivent sur cette pop sans détour avec des machines à danser aux instrus saccadées, toujours voilées d’une forme de tristesse ambiante et une volonté manifeste de s’aligner sur la mouvance eurodance. "My Mind - Mindless Mix" est une curiosité pop mais elle me plaît moins à cause de ses claviers tapés à outrance même si on verrait bien une Lady GAGA reprendre ce titre aujourd’hui (Everyone, everywhere/Dance or fade out).

Dans la réédition du disque, Ace OF BASE déleste Happy Nation de certaines compositions : une instrumentale et d’un bonus pourtant assez intéressants, "Dimension Of Depth" et "Moogoperator", mais aussi de deux autres morceaux plus ou moins dispensables - le foutraque "Münchhausen (Just Chaos)" qui porte bien son nom, et "Fashion Party" pas aussi mémorable que les singles mais parfait pour le dancefloor. À côté de ça, The Sign est adapté avec la démo de "All That She Wants" de 91 qui s’appelait encore "Mr Ace" à l’époque, ainsi que trois nouveaux singles. La production de "Living In Danger" est un poil plus discrète que le reste de l’album bien qu’elle reprenne les mêmes codes reggae-pop alors que "The Sign" est une petite ballade bien moins conséquente. Enfin, Ace OF BASE reprend Tina TURNER avec une version de "Don’t Turn Around" que je trouve meilleure que l'originale grâce à ce groove reggae accrocheur et cette clarté sonore qu’on reconnait désormais au groupe suédois.

Un sacré patchwork de chansons qui oscille entre danses estivales et détresse froide parvenant tout de même à se hisser au sommet du Billboard 200. Techniquement, c’est de la pop pure - datée, c’est sûr mais tout autant intemporelle. Au-delà d’avoir créé des hits, Ace OF BASE a réussi à créer une pop mondiale, dansable partout, à n’importe quelle époque, avec ce Happy Nation/The Sign vendu à 23 millions d’exemplaires, à la fois hyper accessible et rempli d’étrangetés, posant peut-être involontairement les bases d’une idée d’hybridation de la musique globale du futur.